coiffés d’un large chapeau de paille, faisaient paître du
bétail.
« Il nous arrivait aussi parfois d’apercevoir, disséminés
dans la campagne, des cercueils placés sous une espèce de
hutte et qui attendaient l’heure où l’on creuserait la fosse
destinée à les recevoir. Il y en a qui restent ainsi exposés
pendant une année entière, le choix de la sépulture, l’endroit
où l’on creusera la fosse, la cérémonie des funérailles
étant choses qui ne se résolvent pas à la légère : il est de
tradition de consulter les plus savants astrologues. L ’épaisseur
du cercueil, la chaux vive dont on le recouvre, écartent
tout danger d’insalubrité.
« M. Doyère nous renseignait sur ces vieilles coutumes,
sur le deuil, qui se porte en blanc, sur les funérailles, qui
n’ont jamais lieu sans accompagnement de gongs, de tam-
tams, de pétards, sans un cortège de loqueteux, porteurs
d’étendards sur lesquels sont gravées les multiples qualités
du défunt; porteurs de victuailles que l’on mangera devant
la tombe, porteurs de sapèques ou de papiers contrefaisant
les billets de banque et que l’on sèmera aux quatre vents
pour écarter l’esprit malin.
« De croyances religieuses, peu ou point. Le Chinois est
athée, mais superstitieux. L ’autel qu’il est d’usage de réserver
dans chaque maison aux mânes des aïeux, ne prouve ni
foi dans l’immortalité de l’âme, ni même piété filiale bien
profonde. L a crainte des esprits, qu’il faut mettre de son
côté, suffit à expliquer tout. Voilà de quelle façon les morts
gouvernent la Chine.
« Maintenant, la conversation roulait sur le Fo-Kien,
riche à certains égards seulement. Les bois de construction,
le thé, le riz, sont les principaux articles d’exportation. Trop
nombreux pour vivre tous sur cette terre qui ne peut les
nourrir, à la merci d’une mauvaise récolte qui les réduit à
la famine, les habitants du Fo-Kien s’expatrient volontiers,
pourvu, qu’ils aient l’assurancê que, morts, ils seront ramenés
dans la province qui les a vus naître. A Fou-Tcheou, une entreprise
française recrutait avec assez de facilité des coolies
pour défricher l'île de Madagascar. L ’Arsenal emploie beaucoup
d’ouvriers, mais, en général, mal payés, et ce maigre
salaire qu’on leur octroie suffit, à peine, à leur procurer le
strict nécessaire. Le riz, quand il est bon marché, le plus
souvent la pomme de terre, forment la base de leur alimentation.
« Mais nous étions arrivés. Le coolie Beefteak, ayant
conscience de la responsabilité qui lui incombe, procède
au débarquement des vivres. Et en route ! Par un étroit sentier,
nous nous acheminons, en file indienne, vers un petit
village, aux maisons délabrées. Nous en franchissons
l’unique ruelle, où pataugent canards, poules, cochons et enfants,
et nous faisons des prodiges d’équilibre pour ne pas
glisser sur les cailloux gluants, ni tomber dans des flaques
où croupissent des détritus innommables. Les enfants s’enfuient
à notre approche; les Chinoises au visage peint, aux
pieds écourtés, se hâtent, autant qu’elles le peuvent, de rentrer
dans leur taudis. Les hommes, assis sur leurs talons, la
pipe à la bouche, nous regardent, impassibles.
« A travers les champs de mandariniers nous arrivons
enfin au pied de la montagne qu’il va nous falloir gravir
qui en chaise, qui à pied. Pour nous donner du coeur,
M. Doyère nous offre un excellent verre de Xérès.
* Sept cents marches, creusées à même dans la montagne,
doivent nous mener jusqu’au monastère. La caravane
s’ébranle. Habitués à ce genre d’exercice, les porteurs ne donnent
pas signe de fatigue. Mais nous, au bout d’une demi-
heure, nous n’en pouvons plus. Nous nous arrêtons plus
d’une fois, sous prétexte d’admirer le paysage, qui, vraiment,