. table, le ministre d’Espagne, doyen du corps diplomatique,
son chancelier, d’autres encore. Le repas a été aussi gai que
peut l’être un repas officiel. Bon lit; ensuite, bon sommeil, si
bien que j ’ai honteusement dormi jusqu’à huit heures, moment
précis où j ’ai été réveillé en musiquë : le piano des attachés
à la légation jouait une valse entraînante. Vite je m’habille,
car il faut être exactement à neuf heures à la porte du
palais d’hiver. On ne visite ce palais que ce jour-là, le vendredi,
à cette heure-là, et encore avec une autorisation. Les
Américains qui en gardent l’entrée sont intraitables sur cé
point.
Ce palais d hiver, ou ces palais d’hiver (on n’en compte
pas moins de quarante-huit agglomérés), malgré l’herbe qui
commence a pousser entre les tuiles jaunes et vernies des
toits, maigre la poussière qui s’est déposée depuis un an sur
les tables en cloisonné, sur les tentures jaunes des appartements
de l’empereur ou les tentures violettes de la chambre
de l’impératrice, malgré quelques traces aussi d’un pillage
récent, traces plus rares, ici, qu’on ne s’y attendrait, ce palais
impose 1 admiration a qui le visite sans parti pris. Et pourquoi
ne pas admirer les choses, même chinoises, quand elles
sont vraiment belles?
Mais, autant les palais du centre, les salles du trône
ou de réception, ont un air de majesté, autant les appartements
particuliers semblent mesquins, avec leurs alcôves
sombres, leurs recoins sales pour la fumerie d’opium,
leurs espèces de cages en verrè pour le travail et la lecture.
L empereur possédé une grande quantité de livres chinois,
c’est-à-dire de parchemins renfermés dans des boîtes; de
beaux globes célestes; surtout, une admirable collection de
pendules, quelques-unes d’origine française, style Louis XV.
Mais certains murs sont couverts d’affreux petits dessins,
exécutés par l’impératrice elle-même. Cette vieille impératrice
est artificieuse, les Européens en savent quelque
chose; mais sa nullité, comme artiste, est eclatante; je la
proclamerais en face de tous les Boxers prêts a m empaler
pour ce blasphème.
Nous courons plutôt que nous ne nous promenons à travers
ce palais. On y suit un itinéraire fixé d avance, et
l’on n’a pas la faculté de s’égarer dans les détours exquis
des jardins. A l’est il y a des dépendances qui ne sont
pas ouvertes aux visiteurs : des dames de la cour y sont
restées, à qui les Européens ne font pas peur. On sort enfin
par la porte nord, après avoir parcouru le palais dans toute
sa longueur. Cette porte .est gardee par un poste de Japonais,
qui se prennent fort au sérieux.
•Quand on est arrivé là, le tour du lac est oblfgatoire,
tout comme au bois de Boulogne. L ’imperatrice le fait d ordinaire
dans un petit tramway à vapeur : en ce moment,
elle est occupée ailleurs; sans imperatrice et sans vapeur,
le tramway attend, mélancolique. Nous, petites gens, nous
réquisitionnons des pousse-pousse. En passant nous jetons
un coup d’oeil rapide sur la montagne de charbon, toute
verte ; sur le Peita - pagode, que nos marsouins ont surnommé
la bouteille de pipermint, à cause de la forme
bizarre de soh dôme; sur les bas-reliefs jaunes - • couleur
impériale — du mur de céramique. Mais il ne faut pas arriver
trop tard au mess des attachés. Nous effleurons donc
tout. Volontiers nous nous serions attardés au bord des
lacs couverts de feuilles de lotus, et sous 1 ombre des
grandes allées. Hélas ! quand on y flâne un moment, en se
persuadant qu’on est arrière-petit-fils du Ciel, on se heurte
à des écriteaux où l’on voit une flèche, et cette inscription :
« Corps expéditionnaire français; état-major de la i re brigade
». Nous avons abrégé la promenade et nous sommes
revenus par le pont de marbre, d’un travail si délicat :