lis. La mousson n est pas ce qu’un vain peuple pense : c’est
tout simplement une bonne tempête d’Europe. Mon petit intérieur
en a senti les effets : d’abord, mon seau de toilette a épanche
libéralement son contenu; puis, mes vêtements blancs ont
trouve le moment opportun pour prendre un bain; enfin, tout
un rayon de ma bibliothèque — combien riche! — , a suivi
l’exemple. Nous mangions assis à terre sur des coussins,
ou suspendus à tous les appuis naturels; et nous ne mangions
guère que des conserves.
Arrives le 23 juillet à Colombo, nous en repartirons demain.
Ces relâches sont loin d’être oisives pour moi. Cependant,
j ai pu m’échapper quelques heures, sauter dans un
pousse-pousse, et faire mon tour de ville. Colombo est un
port artificiel, défendu par une digue, contre laquelle la
mer, alors même qu’elle est calme, déferle et s’élève à la
hauteur de trois étages. Les bâtiments de guerre devaient
mouiller à quelque distance avant qu’on n’eût construit la
jetée, longue d’un kilomètre, qui en rend l’accès relativement
facile. On n’habite guère, sauf pour les affaires du
jour, la ville administrative de la côte, toute en bureaux,
dans un décor de palmiers. Mais le spectacle de la ville
intérieure est admirable : partout une végétation luxuriante,
des cocotiers, des bananiers, des mimosas à foison. Chaque
bungalow presque a son parc, souvent son étang. Partout
circulent des tramways électriques. De grands trains de luxe
traversent des prairies, des lacs, de véritables forêts <i).
Quand on se croit perdu dans la forêt, la ville reparaît, pour
disparaître encore bientôt. A vrai dire, ce n’est pas une ville,
c’est une collection de petites villes distinctes, qui, toutes
réunies, occupent une superficie plus étendue que celle de
Pans. Ce mélange de civilisation raffinée et de nature exu-
(1) Sur Colombo, cf. le Ceylan de Emerson Tennent, 1859,
-^T rttiM V.
bérante, c’est l’Orient anglais; l’Orient chinois nous réserve
des surprises d’un autre genre.
Je me suis attardé à regarder cette féerie, et, de fait,
c’était absolument le décor du Tour du Monde, au Châtelet,
20 acte. Au premier plan, des soldats hindous s’exerçaient
à marcher au pas, sur le sol rouge. Des boeufs petits et
trapus passaient à tout moment : ils traînent jusqu’aux
voitures de maître. J’ai observé que les vivres se vendent
très bon marché. On n’en pourrait dire autant des boissons
rafraîchissantes sur lesquelles se jettent les voyageurs
altérés. Je fais donc toutes mes réserves sur la classique
comparaison de Ceylan et du paradis terrestre, car,” dans
le paradis terrestre, j’en suis sûr, si, par impossible, on avait
soif, on se désaltérait sans frais ruineux.
Ce matin, le Cachar a quitté Colombo, emportant un
bataillon d’infanterie de marine. On a sonné au drapeau et
poussé quelques hurrahs : à cette distance de la terre française,
ces petits incidents « vous font quelque chose ». Je me
sens devenir terriblement chauvin.
Saigon, y août. — Nous sommes à quai dans notre bonne
ville de Saigon, où l’on n’arrive qu’après avoir pendant une
vingtaine de lieues remonté la rivière de Saigon, affluent
du Donnai, et le canal qui la met en communication avec
la ville. En face, il y a un grand café : on y rencontre, avec
une joyeuse surprise, nombre d’amis Bretons ou Parisiens.
Le spectacle de ces cafés, où tout le monde est vêtu de
blanc, les officiers portant des galons mobiles, est curieux et
gai. On s’y retrouve forcément, dans la soirée surtout, car
■l’importunité des moustiques rend difficile le séjour chez soi
et le travail de nuit.
Le matin, on se lève tard, pour expédier les affaires avant
le déjeuner; dans l’après-midi, on fait la sieste; mais, vers