On ne se sent pas trop isolé à Shanghaï, ville de
600,000 âmes pourtant, et l’on y est plus au courant de la
situation qu’à Takou, car les journaux abondent (1), et
ÏEcho de la Chine est tout proche de notre hôtel. Je regarde
autour de moi; jusqu’à présent je n’ai pas encore vu manger
un seul petit Chinois par les cochons. Ces parents jaunes se
permettent même d’aimer leurs enfants tout comme font les
parents blancs. On les a calomniés, en assimilant à des
infanticides les expositions d’enfants, vivants ou morts, par
leurs parents, trop pauvres pour les nourrir ou pour les ensevelir.
Les infanticides proprement dits ne sont signalés que
dans certaines grandes villes où la population est particulièrement
misérable. Et encore on ne tue que les filles : ce
n’est pas la peine d’en parler.
(1) M. Bard, dans Les Chinois chez eux (Colin, 1899,moins de 14 journaux publiés à Shanghaï. in-16), ne compte pas
IV
LE CARACTÈRE CHINOIS — LA SITUATION
Me voici loin des galeries de l’Odéon, dans un pays ni
européen ni chinois, où l’on trouve lumière electrique et
pousse-pousse, misses anglaises avec ou sans flirt, Chinoises
aux yeux obliques, brouettes (omnibus primitifs pour Chinois,
ou colis, à volonté), bars anglais où l’on s’enivre, maisons
de thé et d’opium, musique, le soir, dans le jardin
public, réservé aux Européens, théâtres chinois. Dans toute
la ville et jusque dans les concessions européennes, c’est
un grouillement de Chinois plus badauds que des Parisiens.
Beaucoup ont des physionomies distinguées, possèdent
chevaux, voitures, laquais, et ont tout l’air de mener
■ la grande vie. Le Chinois est un horrible noceur.
On le voit partout, ce Chinois épicurien. Dans les concessions
européennes il est plus chez lui que beaucoup d’Européens,
exception faite des Anglais, qui sont partout chez
eux. Ce Chinois nouveau jeu aime à promener sa nonchalance
au delà des concessions, dans des quartiers qu’il a
construits : les rues y sont droites, et les policemen hindous;
là, il a ses fumeries d’opium particulières, ses théâtres
aussi chinois que les théâtres populaires, et quand par
hasard il y distingue un de nous, il n’a pas l’air de s’étonner
qu’on puisse être Français.
Les Chinois sont une race bien forte. Il y en a qui, au
nord, se font tuer avec une bravoure qu’on a coutume