men du doctorat. II choisit aussi les jeunes gens de talents éminents
pour rédacteurs de l’Académie des Han-lin. L’empereur, dans ses
loisirs, voyait lui-même et classait leurs compositions. Souvent, dans
l’année, il leur faisait des présents considérables. A cette époque,
comme ces jeunes gens, qu’on avait pris en grand nombre, avaient de
la littérature sans voir où être placés, on suspendit les examens de
licence. Ordre d’ailleurs fut donné aux fonctionnaires publics de
rechercher les hommes de talent, ayant égard d’abord à la vertu, la
littérature ne venant qu’en second rang. Ils furent ainsi classés :
1° les esprits perspicaces et droits ; 2° les sages et bien réglés ; 3° les
bons fils, bons frères, bons agriculteurs ; 4° les docteurs ; 5° les licenciés
; 6° les bacheliers ; 7° les beaux hommes ; 8° les vieillards. »
E n 1403, quand les Ming transportèrent à Pékin leur capitale, ils
y transportèrent aussi le collège impérial et, dix ans après, le concours
de doctorat. L a dynastie actuelle des Mandchoux n’a guère fait
que maintenir ces traditions vénérables, et voici ¡comment on procède.
Deux présidents, assistés de dix examinateurs, viennent de Pékin
dans la capitale de chaque province. La nuit précédente, les candidats
sont entrés en cellule. La cellule a 4 pieds de largeur sur 3,
et est de la hauteur d’un homme. (B iot. — Mission lyonnaise : lm,80
de hauteur, 1 mètre de large, un peu plus 'de 1 mètre de profondeur.)
Le candidat y demeure assis, pendant tout le concours, qui
peut se prolonger près d’un mois (15 jours pour l’écrit), ou couché
sur quelques planches. Le temps de chaque épreuve écrite est d’un
jour et deux nuits. A son entrée, il est fouillé. Sa porte est scellée
ensuite. L’ensemble des cellules, disposées symétriquement le long
d’avenues parallèles, compose le Kong-youen. A Tchentou, selon la
Mission lyonnaise, 14,000 candidats pour 80 à 100 places. A Nankin,
20,000 pour 142.
La première épreuve écrite comprend 3 sujets extraits des livres
classiques et une pièce en vers ; la seconde, 5 sujets' tirés des 5 livres
sacrés ; la troisième, 5 questions relatives à l’économie historique ou
politique de la Chine. Chaque épreuve élimine un certain nombre de
candidats. Beaucoup sont rejetés pour une seule erreur de plume ou
plutôt de pinceau. Une série de décrets du 15 juin au 26 août 1898
avaient, il est vrai, réformé assez profondément ces études probatoires
qui ne prouvaient rien, supprimé la calligraphie et l’amplification,
pour y substituer des questions sur les affaires actuelles, particulièrement
en ce qui touche l’administration intérieure et le gouvernement
des nations étrangères ; les anciennes épreuves sur les livres classiques
ou sacrés ne seraient venues qu’après une première et large
élimination. Ceci était trop beau : dès le mois de septembre, l’impératrice,
reprenant la direction des affaires, faisait tout rentrer dans
l’ordre accoutumé. (W euleesse.) Depuis, il est vrai, en septembre
1903, la réforme a été reprise. (P e llio t, La réforme des examens littéraires
en Chine, Bulletin du comité de l’Asie française, avril 1903.)
Il faut attendre, sans trop d’illusion, ce qu’elle donnera.
Quelques-uns se pâment d’admiration devant cette suprématie
reconnue du mérite, d’où naissent à la fois le respect pour les supérieurs
et la bienveillance pour les inférieurs, chacun sachant à la fois
obéir et commander. (De L anessan.) Les Chinois semblent, il est
vrai, avoir connu toute la puissance de l’éducation. Le philosophe
dit : « P ar la nature, nous nous rapprochons beaucoup les uns des
autres; par 1 éducation, nous devenons très éloignés. » (Lun-Yu, xvn.)
Ils ne sont pourtant pas des éducateurs. C’est très bien de donner les
places aux plus dignes ; mais sont-ce les plus dignes que mettent en
lumière des examens si factices ? La facilité d’esprit et la dextérité
suffisent souvent à enlever une victoire refusée à un esprit plus réfléchi,
à un pinceau moins prompt. Moralement surtout, le succès ici
prouve peu1 de chose ; or, il s’agit de remplir des charges publiques
où le caractère est plus indispensable que le savoir-faire. Grisés par
un triomphe précoce, les lauréats risquent de devenir dédaigneux et
durs. Un drame chinois célèbre de là fin du xive siècle, Pi-pa-ki, de
Kao-tong-kia, met en scène un de ces orgueilleux dont le coeur se resserre
à mesure que son esprit s’affine.
Les heureux ne forment, d’ailleurs, qu’une élite restreinte. Que
devient l’immense cohue des candidats malheureux? Confucius n’en
est pas embarrassé : « Ceux dont les forces sont insuffisantes, dit-il,
font la moitié du chemin et s’arrêtent. » Mais est-ce impunément
qu’on aura, pendant tan t d’années, marché sur un chemin difficile,
qui aboutit à une impasse ? La Chine a non seulement ses misérables,
mais ses dévoyés, parmi lesquels les moins nombreux ne sont pas les
candidats plusieurs fois refusés à leurs examens, car il n’y a pas de
limite d âge, et la barbe de tel candidat à la licence blanchit déjà.
Enfin, il est permis de se demander si ces examens peu probants
sont toujours loyaux. Les fraudes ont toujours été nombreuses; la
vente des diplômes est une industrie dangereuse, mais lucrative, que
quelques scandales ont révélée. Biot cite* l’exemple de deux employés
de ministère qui, pour ce méfait, furent décapités devant tous les
employés aux écritures réunis. Si la vénalité des grades, ainsi réprimée,
est plus rare, qui oserait affirmer que jamais examinateur, en
dépit des précautions minutieuses qui sont prises pour assurer le
secret des concours, n’a lu d’un oeil plus indulgent telle composition
de tel candidat qui s’était donné avant tout la peine de naître?
Concluons que les apparences sont belles, et que la réalité n’est
que médiocre. La Chine s’est forgé un instrument compliqué, dont
elle ne sa it pas se servir. Bien manié, cet instrument pouvait être
intelligent : il n’est plus qu’une mécanique sans âme. Il est vrai que
la France, un peu chinoise en cèci, multiplie et complique à plaisir
les examens : de l’école primaire à l’Institut j qui est notre académie
des Han-lin, que d’épreuves nos brillants lettrés affrontent! que de
pas difficiles ils franchissent avec agilité! Mais dans quelques laboratoires,
quelques bibliothèques, quelques cabinets de travail, il y a
des savants désintéressés, à qui suffit le plaisir même de la recherche,