rive droite, à près d’un kilomètre du fleuve, auquel elle est
reliée par un arroyo encombré de jonques. A l’embouchure
de cet arroyo, et vers le nord, s’étend un populeux faubourg,
en bordure du Yang-tse, sur une berge vaseuse, véritable
cloaque. Tout a fait au nord, s’élèvent les maisons des
douanes impériales et des missions américaines, sur de petites
collines, entre de rares bouquets d’arbres.
Au sommet de l’une d’elles se dresse, faisant face au
fleuve, 1 eglise de la Mission catholique, dirigée par les
jésuites. Ils possèdent ici un vaste immeuble, car Wuhu
est, pour les missionnaires de leur ordre, un centre de ralliement
pendant les chaleurs des vacances. De toutes les
missions disséminées le long de cette grande route-fluviale,
ils affluent alors vers ce couvent bien aéré, sanatorium à la
fois et maison de retraite. Ce qu’est Zi-Ka-Wei pour la
région de Shanghaï, Wuhu l’est pour la région du Yang-
tse. A voir les choses d’en bas, on comprend mal leur goût
pour ce bourg industriel, riche d’une quarantaine de mille
habitants, et célèbre dans toute la Chine par sa coutellerie,
par son papier de paille de riz ou de froment (on y emploie
aussi le liber du mûrier ou de l’arbre à. suif). Mais au retour,
nous verrons de plus près ce. Wuhu, et la tour ruinée qui fait
mélancoliquement pendant aux confortables bâtiments des
Missions.
Nous reverrons aussi, à trente lieues de Wuhu, Nganking,
qui nous a beaucoup frappés. Jusque-là, c’étaient toujours plus
ou moins les mêmes rives monotones, l’énorme plaine verte
coupée çà et là par quelque boqueteau rabougri, ou par quelques
villages aux misérables huttes de terre jaune. Mais soudain
apparaît une tour surmontée d’un toit pointu à clochetons,
et, au-dessous, une haute muraille grise, d’où émergent
des toits grimpés sur le sommet.
Montés dans la hune, plusieurs d’entre nous essaient de
pénétrer du regard la cité mystérieuse. Les toits bleus aux
arêtes aiguës et découpées se croisent en tous sens, et
donnent à l’ensemble un aspect hérissé, rébarbatif. L ’énorme
masse rougeâtre de la pagode, très disproportionnée à cet ensemble,
domine, écrase tout. A l’ouest, la plaine verte re-
La pagode de Nganking.
prend; derrière, de grands marais font briller leurs eaux
argentées; derrière encore, des montagnes dénudées, bordées
d’une teinte violette, s’étendent à perte de vue vers
le nord. Le silence est absolu; les grands murs gris, dit
un enseigne romantique, Semblent l’enveloppe usée d’une
âme morte. Ce n’est qu’une vision rapide : la pagode rouge
s’efface à l’horizon, et nous glissons de nouveau entre deux
berges plates d’un vert sombre.