menses avirons de queue, dont chacun est manoeuvre par cinq
ou six hommes. Des troupes compactes de canards domestiques
naviguent en bon ordre, sous la surveillance amicale-
ment pressante de quelques mariniers. Un vapeur de la
«China Merchant Co. » fait entendre son sifflet. Dans le
fond, les masses noires, grises ou blanches des six vaisseaux
français, anglais, allemands, autrichiens, sortent de la brume
qui s’éclaircit.
Plus près, et en aval, les quais en construction, quai allemand,
quai japonais, quai américain, sont incroyablement
vivants et bruyants. Là grouille toute une armée de travailleurs
chinois. Leurs mouvements, il est vrai, sont calmes :
point de hâte fiévreuse, ni d’allégresse; au contraire, un
certain air général de fatigue. Et pourtant l’oeuvre avance,
la tâche quotidienne s’accomplit peu à peu, allégée par le
chant monotone ou les interjections bizarres des coolies,
qui toujours s’attaquent aux travaux les plus durs avec la
même patience.
Le bund,, dont tous ces, quais ne sont que des fractions,
couvre une longueur de plusieurs kilomètres. Toute une
ville européenne, sur toute cette longueur, sort ou sortira
bientôt de terre. On y admire déjà des cercles et des
clubs on ne peut mieux aménagés, des succursales somptueuses
de banques européano-chinoises, des maisons bourgeoises
assez nombreuses, avec jardin et tennis, un superbe
bâtiment destiné à loger les employés du chemin de fer
franco-belge; la gare « maritime » est à l’extrémité, à
gauche quand on descend le fleuve.
Sous mes yeux j ’ai le quai français qui vient d’être inauguré.
Derrière, sont des terrains vagues, cinq ou six maisons
construites, d’autres en construction, quelques magasins, des
habitations chinoises, une vieille porte assez curieuse, et des
hangars appartenant à des maisons de commerce. C’est la
ville française en formation. Moins grande que la concession
anglaise, elle se développe chaque jour et ne tardera
pas à égaler sa rivale.
En France, on semble se résigner d’avance à la prépondérance
de 1 influence anglaise. Ces idées changent quand
on pénétré au coeur de la Chine. La colonie française de
Hankéou est la plus florissante, et peut-être la seule florissante
de nos colonies dans ce pays. Nous avons vu de près
celle de Shanghaï, plus importante, mais aussi plus envahie
.par 1 element anglais, incapable de fonder même, ce club
français, qui fonctionne parfaitement ici. Ici nous avons
plusieurs commerçants ou ingénieurs sérieux, quelques-uns
mariés, et ces Français font, pour leur compte ou pour
le compte de maisons françaises, plusieurs millions d’a ffaires
chaque année (commerce de cuirs, soie, thé; les autres
commerces principaux de Hankéou sont le tabac, le suif
végétal, l’opium, le sucre, les graines du Setchouen). Qui le
croirait ? les beaux-arts fleurissent près du commerce : Hankéou
compte une société dramatique française ! En dépit de
certaines évaluations, le nombre des Français qui habitent
Hankéou ne me parait pas dépasser beaucoup la cinquantaine;
mais il y a aussi une cinquantaine de Belges, et j ’ai
déjà dit que les Belges font corps ici avec les Français :
ils obtiendront, d’ailleurs, bientôt (1) leur concession particulière.
Ce qui est certain, c’est que les Anglais, plus nombreux,
font moins, d’affaires que les Russes, que les Allemands,
que les Français. Us n’arrivent donc, commercialement, qu’au
quatrième rang. Leur concession, il est vrai, à peu près bâtie,
donne presque l’illusion d’une ville; les autres en sont plutôt
des ébauches. C’est, d’ailleurs, entre les concessions, la
(1) Ils l’ont obtenue pendant l’hiver de 1902.