plus grand mal de l’estomac. On a le désir de tout connaître :
par exemple, en quoi les crevettes au sucre diffèrent des
crevettes à l’huile de ricin, et quel goût peut réster des
chijÿsanthèmes ou des lotus dans une sauce ou dans un
potage, car leurs mets originaux ont des airs et des noms
printaniers auxquels on ne peut résister quand on a un peu
de poésie dans l’âme. Trop de plats et trop de fleurs! Ajoutez
que l’aimable insistance de vos hôtes vous jette dans un
embarras... gastrique d’où toute une série de tasses de thé,
méthodiquement administrées, ne vous retire qu’à là longue.
On se dit qu’on est là pour représenter la capacité européenne;
et l’on sauve « la face » héroïquement. Mais,
hélas! pendant que la face est impassible, « le dedans »
n’est que trouble.
Au fond, la cuisine chinoise nous étonne parce qu’elle
n’est pas la nôtre. Les Chinois, qui ne disent rien directement,
mais qui aiment à insinuer qu’ils nous sont supérieurs,
nous posent ces questions négligentes' : « Ah! vous prenez
froides les boissons? Vous ne désossez pas la viande? Vous
ne pelez pas les fruits avant de les servir? » On va riposter
par une dénégation véhémente, et puis on se dit qu’ils ont
raison peut-être, et l’on se tait, pour vider la coupe de
vin chaud qu’il faut épuiser au début du repas, ou, si l’on
est au vrai dessert, pour savourer d’exquises confitures à
la glace.
Il y a un seul mets devant lequel j ’ai reculé jusqu’ici : ce
sont les oeufs pourris (je parle en Européen novice); les
oeufs conservés, disent les Chinois. Ah! ces Chinois, quels
conservateurs ! Ils conservent indéfiniment le poisson dans
de la glace et de l’eau salée et ils croient le manger tout
frais encore. Pour les oeufs ils les recouvrent d’une couche
de chàux, les déposent en terre, les y laissent « cuire »
un mois, un an, deux ans, jusqu’à ce que la coque éclate