le peuple chinois est incapable de se civiliser ! Les manoeuvres
des soldats de Tcheng-tche-tong, et des soirées comme
celle-ci prouvent le contraire... peut-être.
Nous avons passé deux ou trois autres soirées à entendre
un ménagé plus ou moins montmartrois, qui, après la saison
du theatre de Saigon, a eu l’idée singulière de venir se
promener en Chine. On assure que la soirée qu’ils ont
donnée, dans une salle de la municipalité française, ne
leur a pas rapporté moins de huit cents dollars. C’est chose
rare a Shanghaï que d’entendre les chansons de la butte. La
salle donc était comble. Et nous nous montrions, dans l’as-
sistance, près de quelques officiers allemands qui faisaient
tous leurs efforts pour paraître Français, un Turc imposant,
envoyé en mission spéciale pour se mettre en rapport avec
les Chinois musulmans. Quelle idée tous ces gens emporteront
ils de lart français? Nous nous le demandions avec
une curiosité sans angoisse.
Nagasaki. — Le navire qui ramène en Europe le maréchal
de Waldersee (qu allait-il faire là-bas ?) est sur rade. Après
de si brillantes espérances, ce trop modeste retour prête à rire.
L ’amitié de son ancien élève Guillaume II a bien pu l’investir
du titre de généralissime, mais non pas lui tailler un
rôle a la hauteur du titre (i). On le dit plus diplomate que
soldat. En Chine, et dans un tel moment, l’habileté, plus que
la force, trouve son emploi. Nous y avons aussi un diplomate
botté en la personne du général Voyron : subordonné
au feld-marechal, il a su être digne, indépendant même,
dans la situation la moins facile. Waldersee, d’ailleurs, ne
s’est point prévalu de sa supériorité de grade. Il a ses raisons
pour ne pas détester l’uniforme français : c’est un petit
(1) Le feld-maréchal comte de Waldersee, né le 8 avril 5 mars 1904. 1832, est mort le
soldat de France qui, dans un incendie du palais impérial,
l’a sauvé.
Les innombrables coups de canon qui ont été tirés en son
honneur, puis en honneur des amiraux allemand et américain,
qui s’entrevisitent, ne sont pas faits pour arrêter le
déluge qui fond depuis quelque temps sur Nagasaki et la
flotte...
Shanghai. — Nous fêtons le 14 juillet, à Shanghaï, par
une grande revue. Ma foi, ce n’est pas trop tôt que nous fassions,
nous aussi du bluff. Le Bugeaud sera, le 14, à Hankéou,
la Décidée à Nankin, le Chasseloup-Laubat, à Chin-Kiang,
la Surprise, à Ningpo, et le Descartes, le Redoutable
à Nagasaki, le Friant à Hong-Kong, le Pascal à Ta-
kou, le Guichen en Corée. Ces premiers jours de juillet ont
été tristes à Nagasaki ; il y pleuvait toujours, mais ce
n’était pas la peine de quitter Nagasaki pour trouver à
Shanghaï la même intempérance aquatique de climat. Il
pleut, il pleut encore. Et, pourtant, le temps est chaud,
lourd autant qu’humide; et les coliques, sournoisement,
s’insinuent, et les moustiques foisonnent. Je dîne à terre avec
mon camarade de Kergorre, venu de Hankéou.
Nos bons amis du Japon n’ont pas été fâchés de nous voir
partir : il y avait ces jours derniers, à Nagasaki, six bâtiments
de guerre français, quatre russes, point d’anglais ni
d’allemands. Cela, visiblement, les inquiétait, car ils ne peuvent
souffrir les Russes, et comme nous sommes un peu
Russes, ils se défient de nous.