d’appeler, quand il s’agit d’ennemis, du fanatisme. Croyez-
vous que les autres vont s’émouvoir, comme feraient nos
pauvres esprits? se ruer sur l’étranger envahisseur? Eh!
pourquoi courir au-devant de la ruine d’un petit commerce
florissant, s’exposer à voir détruire la maison ou le sampang
de famille? Ils sont chez eux : on ne les y gêne pas
trop, et même l’invasion rapporte, et rançonner l’envahisseur,
c’est à la fois devoir et proflt. Innombrables sont les gens
qui profitent ici de notre industrie et de notre commerce, sans
compter ceux qui ont adopté de nos moeurs et de notre confort
ce qui n’est pas trop incompatible avec leurs usages et
leur civilisation. Ils ne nous aiment pas du tout, mais nous
supportent fort bien, car ils sont positivistes dans l’âme et
ce n’est pas l’intempérance du sentiment qui tuera jamais un
vrai Chinois, Point d’illusions, d’ailleurs : le jour où nous
abuserions de leur docilité apparente et où leur intérêt même
serait menacé, nous verrions ces marchands inoffensifs devenir
d’enragés xénophobes. En attendant, ils nous sourient.
Sommes-nous en guerre avec la Chine? A l’entrée de
la rivière de Shanghaï, il n’y a pas moins de trente-trois bâtiments
de guerre, placés sous la haute direction de l’amiral
Seymour. Les réguliers chinois, massés à quelques kilomètres
d’ici, et dont on peut suivre les manoeuvres, les forts
chinois qui défendent l’embouchure, n’indiquent pas précisément
l’état de paix idéal. Les deux bataillons d’Hindous
que les Anglais ont débarqués pour maintenir « l’ordre »
dans Shanghaï, mettent au pillage, en passant, les devantures
des boutiquiers chinois. Mais ce ne sont là que des
apparences. Nous nous persuadons que rien ne s’est passé
dans le nord. Bonne histoire inventée par les journalistes à
court de copie ! Il y a des gens, pourtant, qui ne s’expliqueront
pas là-dessus, parce qu’ils ne reviendront pas.
SUR LE YANG-TSE 17
Quoi qu’il en soit, il est bon qu’à Shanghaï, point où se
joue peut-être l’avenir de la vallée du Yang-tse, nous ayons
un tout petit bout de rôle, car, dans le nord, qu’ont fait
nos bateaux? Au bombardement de Takou, le Lion seul,
un vieux rafiot en bois, arrivé au dernier moment, a été
autorisé à se sacrifier en allant au feu. Il a fallu du temps
pour décider l’amiral Courrejolles à envoyer ici le Pascal.
Deja l’amiral Seymour y était, avec plusieurs cuirassés, et
la concession française avait dû se mettre sous la protection
du pavillon hollandais! C’est sur l’ordre direct du
ministère, secondé par l’esprit d’initiative de notre commandant,
que le Charner est venu ici, non à Takou, où il
n’y a plus rien à faire, comme l’amiral Seymour l’avait bien
compris. Le commandant Baëhme a pris sur lui de demander
à M. Doumer des troupes, et d’avertir l’amiral Seymour de
cette demande. De trop prudentes dépêches ne l’ont pas
arrête. Il va de 1 avant, mais avec une résolution tempérée
par une très fine diplomatie.
La véritable lutte semble n’être jusqu’à présent qu’une
lutte de courtoisie avec l’Angleterre, ce qu’ils appellent
la politique a coups d’epingle. « Vous voulez débarquer des
troupes? Pourquoi donc? Vous y tenez? Soit. Précisément,
nous attendons des troupes aussi, et nous serons heureux de
les voir concourir avec les vôtres à la défense de Shanghaï.
D’ici là, pour plus de sûreté, nous mettrons à terre quelques
marins. » Ce petit jeu est inoffensif. Il vaut mieux s’en amuser
que toucher a la grosse question des responsabilités engagées
dans la région du Petchili. Pour moi, qui, par métier, ne
dois point raisonner, j ’envoie à Takou des boeufs, du tabac,
du charbon; je paie des sommes fabuleuses. La tonne de
charbon de Cardiff coûte ici aujourd’hui de 26 à 27 taëls,
environ 92 francs.