king, vue du fleuve, est assez pittoresque. Près de la berge
vaseuse, les remparts sont un peu cacRés par les débarcadères
des bateaux fluviaux, et par des entassements de
petites boutiques, où l’on vend surtout « de la nourriture ».
Quelle nourriture, grand Dieu ! A la sentir, a la voir, 1 appétit
le plus vif languit.
Plus haut, l’on ne distingue qu’un pêle-mêle de toits derrière
les hautes murailles ; mais sur cette ville murée, sombre et
massive, se détache la tour d’une pagode à sept étages, en
porcelaine ou simili-porcelaine, très svelte et très distinguée.
Le contraste est vraiment curieux. A droite, a gauche,
sur les deux rives, la campagne est verte a perte de vue,
limitée seulement, vers le nord, par de basses collines,
fort ingénieusement cultivées en rizières, à 1 aide d étangs
artificiels où les eaux de pluie sont captées. Nganking fait
surtout le commerce du riz et du thé.
Mais, comme toutes les villes chinoises, Nganking, sale
et tortueuse, perd à être vue de près. Ceux d entre nous
qui y sont descendus, ou plutôt qui y sont montés, s en
sont aperçus trop tôt. Dès notre arrivée, une barque avait
accosté le ChuTncî ■ ce sont les deux missionnaires, les
deux seuls habitants européens de la ville. Ils venaient
saluer l’amiral et s’offrir comme guides. Beaucoup de nos
■officiers se font conduire à terre. Mais, ici, pas de quai,
pas d’appontement : il faut sauter de jonque en jonque,
puis gravir la berge escarpée où l’on glisse sur une terre
jaune et gluante. L ’invasion des « diables d’Occident »
a mis en émoi une population pour qui ce spectacle est
rare : c’est une foule compacte, pauvrement vêtue, immobile,
mais plutôt méfiante, qui les entoure; elle s’écarte
lentement sur leur passage, en murmurant des paroles qui
ne doivent pas exprimer une sympathie sans mélange.
Par une porte étroite, percée dans la muraille, nous pénétrpns
dans la ville, dédale de ruelles noires qui s’enchevêtrent
les unes dans les autres. Une vieille femme nous
croise et nous regarde : elle marche avec peine, appuyée
sur un bâton; puis, ce sont des enfants à moitié nus, des
chiens hideux qui, de leurs museaux pointus, fouillent des
tas d’immondices. A mesure que nous avançons vers l’intérieur,
les rues deviennent plus animées et plus commerçantes
: des boutiques de revendeurs y étalent de vieilles
défroques, de vieux débris de toute nature, le tout couvert
de poussière ou de rouille; des marchands ambulants vendent
pour quelques sapèques une tranche de fruit ou une
tasse de thé. Mais le mouvement se fait de plus en plus
intense : c’est maintenant une cohue de piétons, parmi lesquels
on est suffisamment occupé à se frayer un passage. De
longues files d e . porteurs pressent le pas et poussent un
cri cadencé, toujours le même, qu’on distingue nettement
à travers le murmure confus de la multitude.
La rue a pris un aspect très pittoresque et très vivant.
Sur le devant des magasins, accrochée à quelque chimère
grimaçante, pend une pancarte de bois noir ou rouge, et
les grands caractères d’or qui s’y dessinent forment avec les
broderies d’or des corniches un ensemble qui a son harmonie.
A l’intérieur des boutiques, commerçants et acheteurs
discutent avec animation, se détournant à peine pour
nous voir passer. Mais les bruits, les couleurs, ne nous empêchent
pas de voir que la chaussée, le plus souvent, est
d’une saleté repoussante, ni de sentir cette étemelle odeur
fade qui s’attache à la race jaune, et qui, dans l’air renfermé
de ces ruelles, devient presque nauséabonde.
Voici deux heures que nous errons dans cette ville assez
peu originale, somme toute, pour de « vieux Chinois »
comme nous. Nous sommes arrivés à l’est, près de la
grande pagode, devant la Mission. Une porte massive