pousse tire, tire de toutes ses forces; un autre homme, derrière,
a pour mission d’empêcher le véhicule de verser. Et
l’on arrive.
Mais on peut préférer un autre genre de locomotion;
je faisais des réflexions peu favorables à celui-ci, en
voyant — pour la première fois, en Chine ;— de longues
files de chameaux paisibles se détacher sur l’horizon qu’embrumait
la poussière. Ce sont, m’a-t-on dit, les caravanes des
Mongols qui viennent ici charger le thé, ou, depuis que Hankéou
l’exporte plus directement, approvisionner la capitale
de natron ou carbonate de soude. Beaucoup, d’ailleurs, sont1
nomades et vont de pays en pays, selon les nécessités de
l’existence et des saisons, aujourd’hui comme aux temps primitifs.
Tout ayant une fin, nous atteignons, vers trois heures et
demie, la légation de France, je veux dire la légation d’Espagne,
car le ministre d’Espagne a laissé le pavillon principal
à son collègue français, et s’est modestement logé dans
un petit pavillon, sur le devant. Sicard m’avertit qu’il est
•chargé par son ministre de m’inviter à dîner pour le soir
même. Mais il faut m’installer. On trouve un lit sans peine,
-et on l’établit dans une dépendance de l’hôtel Chamot, con-
tigu à la légation de France. Tout cet hôtel est maintenant
■occupé par les services de la poste et par les attachés dont
les logements ont été détruits.
Découvrir une cuvette n’est pas aussi facile; mais le
chancelier de -la légation, M. Saussine, dont le frère est
professeur au lycée de la Martinique, pratique des fouilles
dans les réserves, et c’est un service tout flambant neuf
qui m’échoit. Mmo Saussine, à qui son mari me présente,
est une des Françaises du siège; ils ont un bébé de quinze
mois, qui n’est jamais sorti de ce quartier, et qui semble :
n’avoir qu’une conscience assez vague de ce qui s’est passé
autour de lui. C’est au père, de'préférence, que j ’ai demandé
le récit de cette crise.
Comme, dans l’après-midi de ce jour même, les ministres
européens s’étaient mis d’accord sur toutes les clauses du
traité de paix, mon ami avait à chiffrer de longues dépêches.
Le chancelier l’a donc remplacé près de moi, m’a conduit
au haut de la muraille qui domine les légations, et m’a
expliqué toutes les positions qu’occupaient respectivement
les alliés et les Chinois. Il m’a montré le pont ou plutôt le
trou creusé dans ja muraille pour livrer passage à un ruisseau,
par où les siks se sont glissés dans la ville, et l’endroit
d’où les canons du général Frey avaient, bombardé ce joli
petit coin appelé la Montagne de charbon ( i) d’où l’on découvre
l’admirable pont de marbre aux dix arches qui relie
la ville jaune à la ville tartare. Il y avait alors, — le
15 août, — un an, jour pour jour, que nous nous étions
livrés à cette démonstration retentissante, mais inoffensive,
car il n’y avait pas de ce côté l’ombre d’un Chinois.
Quand on voit toutes ces ruines qui s’étendent de la
muraille à la légation de France, on se rend mieux compte
de la supériorité de situation de la légation d’Angleterre,
protégée de toutes façons, par un canon américain placé
sur la muraille, par toutes les légations voisines, et par un
gros ruisseau vaseux. Pendant que j ’essayais de revivre un
peu cette histoire déjà ancienne, le soleil, qui descendait
derrière les collines, teintait de rouge la porte du Sud,
encore debout, malgré les innombrable^ obus qui se sont
acharnés sur elle.
C’etait grand dîner chez le ministre de F rance .- j ’y ai
trouve l’amiral Bayle, son fils, aspirant à bord du Redou-
(1) D'après une légende populaire cetteicolline artificielle,la^ille impériale et domine tout Pékin, reposerait sur des am aqsu di ec cohuarorbnonne accumulés en cas de siège prolongé.