par un empereur de la Chine, à la condition qu’indéfiniment
ils prieraient pour lui et pour sa descendance. La condition
a-t-elle été observée ? En tout cas, si la fin n’est pas atteinte,
ce n’est pas que les moyens fassent défaut, car bonzes et
bonzeries foisonnent dans ces minuscules Etats pontificaux,
qui n’ont pas deux lieues de longueur. On n’y compte pas
moins de trois cents à trois cent cinquante pagodes, dont
plusieurs couvertes en tuiles jaunes, couleur impériale, et
deux mille moines.
Ils ont le goût bon, ces moines : vue par une belle journée
de printemps, l’île est charmante, avec ses larges plages
de sable, chose rare en Chine, ses grands rochers, ses collines
vertes, où les pêchers en fleur et les colzas mettent
des taches roses ou jaunes, sa légère odeur d’encens, ses
écureuils et ses tourterelles. Les paysages chinois qu’il est
donné aux marins de contempler sont généralement dénués
de pittoresque. Pu-tu a été pour nos yeux un dédommagement
exquis. Du large, on ne soupçonne pas les pagodes qui
sont disséminées dans l’île entière, enfoncées dans les vallons
et les bouquets d’arbres. Les plus belles ont leur parc,
planté de pins élancés et d’imposants camphriers, à l’odeur
aromatique; leur lac, dont les eaux disparaissent presque
entièrement sous les lotus et les nénuphars, mais frémissent
par moments au passage d’une tortue ou d’une troupe de
poissons dorés et sacrés; et, au centre, l’inévitable pagodon,
relié à la terre ferme par un pont de pierre en dos d’âne.
Autour d’une de ces pagodes j ’ai vu nombre de petites
boutiques en plein vent, où l’on vend des bibelots et des
instruments de musique, comme on vend des chapelets et
des amulettes dans les échoppes qui bordent la rue de la
petite ville. Nous avions cette illusion d’être en France, près
d’un lieu de pèlerinagé à la mode. Ce qui ajoutait à l’illusion,
c’est que les images de Kouang-yn, la déesse de la
Miséricorde, qui est aussi la patronne des matelots, ne sont
pas sans ressemblance avec celles de la vierge Marie, quand
la déesse aux cent mains et aux cent yeux est représentée
portant un petit enfant dans ses bras, sur son trône semé
de fleurs de lis, mêlées aux lotus. Plus d’un de nos marins
aura été tenté d’invoquer en elle l’Etoile de la mer. Mais
les cris sans cesse répétés de « Omito-fou ! » nous rappelaient
que Bouddha règne en souverain dans cet ancien
foyer de séminaires bouddhiques (i). Pu-Tu est, paraît-il,
un des trois grands pèlerinages de Chine : les deux autres
sont les monts O-mi et Ou-taï, l’un près des frontières du
Tibet, l’autre dans le Chan-si, au nord.
En général, la moindre pagode se distingue, à l’extérieur,
par l’élégant retroussis de ses toits aux couleurs éclatantes;
à l’intérieur, par la richesse de ses ornements. Elle se compose
d’une série de salles placées en enfilade. Dans les
premières salles se dressent de grandes statues multicolores.
Ce sont les dieux gardiens, les dieux de la fécondité
créatrice, les dieux guerriers, terribles dans leurs grimace-
ments, les dieux vainqueurs des démons, plus ou moins
démons eux-mêmes, ogres ou monstres, avec leur tête de
dogue ou de serpent.
Des bas-reliefs en bois colorié représentent les supplices
ingénieusement divers qui sont.réservés aux criminels dans
l’autre monde, c’est-à-dire les supplices que les Chinois
imposent eux-mêmes aux vivants. La variété, le raffinement
de ces supplices, font frémir : vous avez le choix entre
être attaché à une colonne brûlante, ou scié entre deux
planches, à moins que vous ne préfériez être broyé dans un
(1) Voir sur Pu-Tu, les livres, cités à la Bibliographie, de Hue1, D a v is , ii, 13, et 11, 6, les Aventures de 7 ortune, iv, et l'étude de Cari B o c k , l'Ile sacrée
de Pouto, Bull, de la Soc. de géogr. commerc., 1891, p. 483-485. — Ci. Five
yBeeanrtsl eyin, 18C4h8i,n 4a0,5 fpr.o, mch .1 8x4.1 —to J u1l8e4s7 , Abryè nleie, ultae nant F. E. Forbes, London, pentier, 1883 (voyage de juillet 1872).. Chine familière, 2¿ éd.,. Char