cultivées. En face se dressent des montagnes aux flancs
arides, aux crêtes désolées. Les chasseurs mettent pied à
terre et battent la campagne en tous sens. Presque aussitôt,
grands battements d’ailes, galops effarés. Dans ce pays
où la chasse est inconnue, presque impie, le gibier, vivant
dans une sécurité trompeuse, ne connaît pas les fuites savantes
de notre gibier d’Europe. Malgré le tir en surprise
qu’impose aux chasseurs l’absence de chien, ils regagnent
la Mission deux heures plus tard, étalant sur l’arçon de
leurs selles plusieurs faisans et deux chevreuils.
Aussitôt de retour, ils sont assaillis par des Chinois
pouilleux, qui les conduisent au fond d’une chambre, devant
une exposition de vieux bibelots, brûle-parfums,
Bouddhas de bronze, soieries anciennes, porcelaines variées,
portant presque toutes le dragon à cinq griffes, emblème
impérial. Les prix se débattent longuement, avec
l’aide d’un interprète. C’est ici que l’amateur européen doit
déployer toutes les ruses, passer de l’étonnement à l’ironie,
sinon à la colère. Gibier frais, vieux bibelots, ce fut
une bonne journée. Mais point de panthères, comme on
l’avait espéré; il en reste pourtant, assurë-t-on, dans ces
montagnes qui s’étendent à 8 kilomètres du fleuve.
Nous restons deux jours à Nganking. Cela nous a permis
d’assister à une revue dé jonques de guerre, passée
par le grand amiral chinois, un amiral qui ria peut-être
jamais vu la mer. Ce spectacle était curieux ; pétards,
coups de canon partant de tous côtés, c’était un vrai feu
d’artifice. Mais ces soldats-marins paraissaient plutôt des
coolies recrutés pour l’occasion, des passe-volants. En revanche,
une compagnie chinoise manoeuvrait en dehors de
la ville, à 1’allemande, avec des sonneries françaises à
peine dénaturées. Vous le savez déjà, c’est un clairon ou un
tambour de la Marine française, nommé Pinel, déserteur en
1860, et devenu général chinois, qui a appris aux Chinois a
jouer du clairon. Ce fameux général, dit chinoisement Pi-nai,
marié à une Chinoise, pere de Chinois authentiques, est mort
il y a peu d’années, comblé d’honneurs.
Dans huit jours, nous aurons regagné Shanghaï. Nous
aurons, du moins, eu la révélation de la Chine qui voudrait
rester fermée, après la révélation de la Chine qui s’ouvre.
Déjà nous en avions eu le soupçon, un jour, sur le fléuve,
entre Kiu-Kiang et Hankéou. Devant un fort, étaient
amarrées une trentaine de jonques de guerre, contemporaines,
sans doute, des galères du temps de Richelieu. Pa-
voisées de pavillons multicolores, elles firent, au moment
où nous passâmes, une décharge générale, à blanc, de tous
leurs canons de bronze. Dix minutes durant, les détonations
continuèrent, enveloppant la flottille d’un nuage
de fumée. Cela se faisait, nous l’avons su plus tard, en
l’honneur d’un grand mandarin naval qui inspectait les
forts du fleuve et débarquait à cet instant même. Beaucoup
de bruit pour peu de chose.