tandis que nous sortons, quelques bonzes, qui flânent, nous
demandent l’aumône. Dans ce flot de bonzes sont perdus,
à Chin-Kiang, un petit nombre de catholiques, pères et catéchistes,
dirigés par le P. Jauret, missionnaire à la grande
barbe blanche. Quant aux missionnaires protestants, les
portes et les persiennes de leurs villas sont closes; les allées
de leurs jardins disparaissent sous l’herbe.
En face des murs de la ville, mouillent, près de nous,
un croiseur anglais, un croiseur allemand, et deux chinois.
C’était aujourd’hui l’anniversaire du jour de naissance
de l’impératrice chinoise. Tous les bateaux européens
avaient hissé le grand pavois, le pavillon chinois flottant
au grand mât. N’allez pas vous en etonner : ce nest
pas à cette bonne impératrice que nous faisons la guerre.
Même, nous nous sommes courtoisement informés du nombre
de coups de canon que tireraient les croiseurs chinois, et
nous en avons tiré un nombre égal, vingt et un, s il vous plaît.
L ’amiral Seymour, qui, depuis deux jours, était à Chin-
Kiang sur son yacht YAlacrity, vient de partir ce soir pour
Nankin. Au commencement des affaires actuelles, il avait été
presque éconduit par le vice-roi Lieou-Koen-i. Mais ces
Anglais sont tenaces.
C’est ici, pourtant, qu’en 1842 ils avaient fait cette épouvantable
tuerie, et que les soldats de la garnison tartare,
après avoir sacrifié femmes et enfants, s’étaient fait égorger
jusqu’au dernier. On dirait que cette tache de sang est
effacée. Pauvre Chin-Kiang ! Son destin lui a fait connaître
en 1842 les Anglais; en 1852, les Taïpings; en 1857, les impériaux;
et tous ont tout dévasté. Eh bien, Chin-Kiang,
relevé, est en passe de devenir un des grands ports commerçants
de la Chine. Quand aura été remis en état le grand
canal impérial ou Young-ho, dont la bouche principale est à
l’est, quand surtout auront été construits les chemins de fer
de Tien-tsin à Nankin et Canton, ce mouvement commercial
se développera encore.
Il faut voir l’île d’Argent (île Silver) et la Tour d’Or : ce
sont les noms que leur ont infligés les Anglais (1). De l’île
d’Argent nous pensions découvrir toutes les fortifications
qui entourent Chin-Kiang, et repérer les situations des
forts. Nous avons été arrêtés, poliment d’ailleurs, par une
sorte de sous-officier, qui avait sur la manche de son
habit de coolie un tout petit galon d’or. Le P. Chevalier,
qu il avait vu, au camp, rendre visite à son mandarin, l’a
interrogé : « Pourquoi ne nous laisse-t-on pas monter là-
haut et voir le paysage ? — Le général l’a défendu. —
On a donc fait de nouveaux travaux ? » Silence embarrassé
: de fil en aiguille, pourtant, nous avons su que
sur le haut de l’île on avait établi cinq canons, dirigés sur
le mouillage des bateaux, sur nous. Il n’avait pas fallu moins
de mille hommes pour les y monter.
La Tour d Or fait partie d’une grande pagode, qui elle-
meme dépend d’un séminaire de bonzes. Il y en a partout :
ils font brûler de 1 encens, chantent des prières, ou tapent
sur de grosses cloches pour chasser les mauvais esprits.
Nous devons, etre de bons esprits, car, loin de nous chasser,
ils nous poursuivent dans tous les coins, pour nous
offrir du the dans des tasses d’une propreté douteuse : ils
acceptent, d’ailleurs, et, au besoin, réclament quelque me-
une monnaie. C’est un ordre mendiant.
Mais Chin-Kiang a d’autres richesses que l’île d’Argent et
la tour d’Or. Pour les chasseurs, c’est un vrai paradis : pendant
ce petit voyage, le carré a tué cinq chevreuils, huit faisans,
une dizaine de canards sauvages, une oie sauvage, trois
, <1} Rochechouart se trompe donc quand il parle les Chinois toujours fastueux dans leurs dénominationds,e icnettitteu lîelen t« lq'îulee
la Montagin eL d®su ccJhuangoriisn, . dit Oliphant, appellent n ie d’Argent Tseao-chan,