la terre avec soin ; se rendre habile dans l’exercice de la flèche ; nser
d’économie ; s’abstenir des liqueurs qui enivrent ; éviter le jeu ; éviter
les combats et les querelles. » Voici maintenant quelques-uns des 13 articles
sur l’art militaire, composés en chinois par Sun-tse, général
d’armée : « Sans donner de bataille, tâchez d’être victorieux ; ce sera
le cas où plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous approcherez
de l’incomparable et de l’excellent... La campagne une fois
commencée, vous devez avoir là promptitude d’un lièvre qui, sè trouvant
poursuivi par des chasseurs, tâcherait, par mille détours, de
trouver enfin son gîte, pour s’y réfugier en sûreté. » Ou-tsen et
Se-ma-fa, tous deux généraux d’armée, traitent spécialement de
l’humanité. Le second général conclut : « L’homme est ce qu’il y a
de plus précieux sous le ciel : il faut épargner son sang. »
Cet amour de l’humanité inspire de nobles maximes comme celle-ci,
citée par M. de Lanessan (La Morale des philosophes chinois, Alcan,
1896, in-16) : Fan-tchi demanda ce que c’était que la vertu de
l’humanité. Le philosophe dit : « Aimer les hommes. » Il demanda
ce que c’était que la science. Le philosophe dit : « Connaître les
hommes. » (Lun-Yu, x i i , 22). Seulement, ces belles choses sont mieux
à leur place dans les livres de morale. Guerroyer au loin, cela n’a
jamais tenté un coeur chinois. Le Chi-King fait parler les parents
d’un jeune homme qui est au service du1 prince1 : « S’il est prudent et
sage, il cherchera à revenir, et il ne tardera pas. — Il doit songer
avant tout à revenir e t à ne pas mourir loin de nous. » (Cité par
M. d’Hervey de Saint-Denis dans les Poésies de l’épogue dès Thang.)
Thou-fou, ami du grand poète Li-taï-pe, qui vivait au vu Ie siècle
de notre ère, a plusieurs fois peint le départ des chars de guerre, les
sinistres visites du- recruteur, et opposé à l’horreur des combats le
charme d’une intim ité recueillie. Le soldat chinois pousse souvent la
bravoure jusqu’au plus téméraire mépris de la mort ; mais il est, par
goût naturel, fort peu soldat.
Les vertus chinoises sont donc surtout des vertus négatives et passives
: endurance, persévérance, contentement du sort, même quand
il est dur, gaieté sereine, quand il est propice, indifférence au bien-
être, dégénérant en insouciance de l’hygiène et de la propreté, continuité,
mais lenteur, dans l’effort, le temps n’ayant aux yeux du
Chinois aucune valeur. Cette longue patience n’est pas de l’inertie :
quoique fataliste, le Chinois ne renonce pas à chercher les moyens
de vivre et de s’enrichir : il déploie même, pour améliorer son sort,
une industrie ingénieuse, une âpre économie, une prudence toujours
éveillée, qui le condamne à la dissimulation perpétuelle. Le
Chinois ment par plaisir de diplomate qui s’entraîne à ce jeu- habile
et n’est pas fâché de voir venir les mensonges des autres, ne les en
estime que plus, au- contraire, s’ils mentent à leur tour avec autant
de naturel que lui. Ménager les apparences étant l’essentiel, il ment,
comme par devoir, pour « sauver la face » et pour faire « perdre la
face » à son adversaire. La grande oocupation des Européens, quand
ils traitent avec les Chinois, c’est de « recouvrer la face » dès qu’ils
ont pu la perdre. S’ils négligent de le faire, le Chinois se tient pour
vainqueur.
Quelques-uns de leurs admirateurs européens leur ont prêté une
morale généreusement altruiste. M. de Lanessan cite les livres sacrés
de la Chine : « Avoir assez d’empire sur soi-même pour juger des
autres par comparaison avec soi, et agir envers eux comme nous voudrions
que l’on agisse envers nous-même, c’est ce que l’on peut appeler
la doctrine de l’humanité. Il n’y a rien au delà. » (Lun-Yu, vi, 28.)
Mais ce dévouement aux hommes, dans quelle mesure est-il actif?
Les Chinois croient à la bonté originelle de. la nature humaine,
épandent sur l’humanité une bienveillance faite de sympathie pour
1a. vertu plus que de haine pour le vice. Ils étendent même aux animaux,
aux objets inanimés, cette sympathie, née d’un vague amour
de la vie universelle. C’est un crime aux yeux du Dieu « qui préside
à la vie » que de lancer des flèches aux oiseaux, de détruire leurs
nids et de briser leurs oeufs, de faire souffrir les animaux domestiques,
de les manger sans y être obligé par les rites. « Montrez-vous humain
envers les animaux. Ne faites pas de mal même aux insectes, aux
plantes et aux arbres. » (Thaï Chang Kang ing pièn, Le Livre des
récompenses et des peines, par un sectateur de Lao-tseu, trad. Stan.
Julien, 1835, in-8°.)
Mais que cette pitié attendri© ne nous attendrisse pas outre mesure.
Tout sentiment désintéressé, chez les Chinois, est subordonné à
l’intérêt immédiat. « La reconnaissance, dit le rapporteur de la Mission
lyonnaise, est une des nombreuses vertus que le Chinois, en règle
générale, ignore complètement, comme tout ce qui est sentiment,
d’ailleurs. » Il est vrai que les étrangers ont pu juger surtout les
sentiments des Chinois envers les étrangers. C’est dans la famille et
dans la société qu’il faut les prendre : encore les y observons-nous
dans des conditions artificielles, les Chinois n’étant vraiment eux-
mêmes qu-e lorsqu’ils sont vraiment chez eux, c’est-à-dire entre eux.
L’amélioration de 1 individu, s’il n’est voué à la vie monastique, se
poursuit au sein de la famille, et la famille est le fondement de
l’E tat. « La personne étant corrigée et améliorée, la famille est
ensuite bien dirigée. La famille étant bien dirigée, le royaume est
ensuite bien gouverné. » (Ta-Bio, i. Sur le Ta-Bio, ou la Grande
science, qui s’adresse surtout aux princes, et le Tchong-Y ong, ou le
Juste Milieu, voir Mémoires des missionnaires de Pékin, 9 vol. in-4°,
Paris, Nyon, 1776-1783.) Le père est chef souverain de la famille,
l’empereur est le père de l’E tat. Quelque âge. qu’ait le fils, il ne doit
s’asseoir devant son père que sur l’ordre exprès de celui-ci. La piété
filiale est pour Confucius la forme essentielle de la vertu- essentielle,
l’humanité. Dans le Biao-King, ou livre sacré de la piété filiale, il
s’entretient avec Tseng-tse et lui dit : « La piété filiale est la base de
la vertu, ce d’où découle, toute science. » E t il l’examine successivement
au point de vue de l’empereur, dés princes, des ministres, des