légumes, la règle bouddhique leur interdisant de se repaître de la
chair des êtres qui ont vécu ; d’autre part, ils passent à mendier tout
le temps à peu près qu’ils ne consacrent pas soit à bredouiller la
formule invariable « Hommage au Bouddha », en égrenant les
108 grains de leur chapelet, et en rythmant chaque formule d’un
coup de marteau appliqué sur une cloche ou sur un gong, soit à
planter dans les brûle-parfums, à l’entrée des temples, les bâtonnets
odorants qui écartent les mauvais esprits, soit encore à tourner leur
moulin à prières. La mendicité semble' être la fonction essentielle,
l’obligation primordiale de l’institution. « Une fois qu’il était bien
instruit des dogmes de la religion, on lui rasait la tête, on le revêtait
d’une robe et d’un manteau de bure d’un brun rougeâtre et on lui
rem ettait une écuelle de bois ou de fer, dans laquelle il recevait les
aumônes qui lui étaient données pour sa nourriture. Le religieux
est donc, dès le début, un mendiant. Cette obligation de la mendicité
découle de deux idées : l’humilité, et la considération que le prêtre,
voué à la prière et à la méditation, ne peut et ne doit pas s’occuper
de questions matérielles. » (De M lllo tjé, Le Bouddhisme, conférence,
Lyon, Storck, in-8°, 1882.) Mal vüs des lettrés, peu considérés
du peuple, les bonzes n’en pullulent pas moins. Le développement
du monachisme est une conséquence fatale du bouddhisme :
où mieux réaliser que dans la solitude et la pauvreté les vertus contemplatives
et négatives qu’il recommande? D’autre part, où trouver
une vie mieux assurée? où un plus inviolable refuge?
Mais entre le culte officiel, reposant sur la doctrine de Confucius,
le taoïsme de Lao-tseu, le bouddhisme des bonzes, de quel côté se
porte la majorité des Chinois ? On a parfois essayé d’établir des statistiques,
on n’y a jamais réussi, d’autant plus que dans les provinces
du nord-ouest de la Chine, les mahométans se comptent aussi par
milliers ; et l’on a dû conclure que les Chinois suivent à la fois les
trois religions dominantes dans leur pays. « De nature, le Chinois
n’est pas intolérant en religion ; il serait plutôt syncrétiste. Il est
toujours prêt à saisir les traits communs des religions diverses plutôt
qu’à se rompre la tête pour comparer et discuter leurs oppositions. »
(R é v ille , La Religion chinoise, Fischbacher, 1889, in-8°.) Ainsi, officiellement
confucéenne, au-dessus, la Chine ne serait au-dessous ni
taoïste, ni bouddhiste, le taoïsme e t le bouddhisme se rapprochant,
d’ailleurs, sur certains points ; ce qui revient à dire qu’elle n’a point
de religion dogmatique, mais un fonds commun de règles morales et
de rites consacrés. Si l’on écarte la morale, qui ne saurait suffire à
constituer une religion, on pourrait dire sans paradoxe que ce qui
fait l’unité religieuse en Chine, c’est la superstition, également en
honneur chez les trois sectes. L’amour et la crainte de Dieu, ils les
remplacent par le respect des ancêtres divinisés et par la peur des
mauvais esprits.
QUATRIÈME PARTIE
Du Yang-Tse au Peï-Ho et de Pékin à Toulon.
UN DINER CHEZ ZI — MONTMARTRE A SHANGHAI
Ce nouveau séjour à Shanghai, en juin, n a ete marque
jusqu’ici que par un dîner chez Zi, notre interprète pendant
le premier voyage sur le Yang-tse, Menu : ailerons de
requin; — poulet sauté dans l’huile; — quenelles de crevettes;
— bouchées de canard; — débris de poulet; — tré-
melles blanches; — vermicelle aux crevettes; — poissons
dorés, sauce rouge; — coquillages; — petits pâtés au
lard, sauce aux amandes; —- alose; — poulet aux champignons;
—- desserts; — vins, liqueurs, café.
D’abord, nous étions méfiants : pour arriver à la maison de
Zi, nous avons dû traverser une cour étroite, sale et sombre.
Mais quelle surprise ensuite! La maison de Zi est éclairée
à l’électricité; des ventilateurs électriques sont suspendus
au plafond; dans lé sâlon nous accueillent des causeuses
en S, un piano, des meubles élégants. Zi nous a fort amusés
en faisant jouer à son phonographe des airs chinois qu’il
avait lui-même imprimés sur des rouleaux. Et l’on dit que