Il eût fait bon déjeuner là-haut; mais, y porter les provisions,
il n’y fallait pas songer. Vers onze heures et demie
donc, nous franchissions à nouveau le col, en route pour
Tcha-fô, à deux kilomètres au nord-ouest. Les chevaux
s’étaient reposés, mais non pas les cavaliers, que l’auberge
de Tcha-fô vit arriver fourbus. A peine étions-nous installés
qu’un grand bruit emplit la rue : c’était un haut mandarin
militaire qui arrivait du nord avec une nombreuse escorte :
trouvant la place occupée, il chercha, non sans regret, un
autre gîte. A cheval à trois heures et demie, nous revenons
sur la Grande Muraille, et, trois heures après, nous étions
rentrés à Nan-Ko, après une chevauchée que nous n’aurions
pas recommencée volontiers, mais qu’un temps admirable
n’avait cessé de favoriser.
L ’excursion au tombeau des Ming est un complément
presque obligé de l’excursion à la Grande Muraille. Quand
nous quittons Nan-Ko, à six heures du matin, le soleil est
déjà chaud. Nous suivons vers le nord-est le pied des montagnes
que nous avons à gauche. La route est plutôt un
sentier; mais on arrive ici à considérer comme très bonne
toute route où les chevaux peuvent trotter. Vers neuf heures,
nous arrivons en vue des tombeaux, ou plutôt des enclos
qui abritent chacun leur pagode. A vrai dire, cela ne répond
pas à l’idée que nous nous en étions faite : ils nous apparaissaient
comme autant de chalets, de villas, mis sous la
protection de la montagne, isolés les uns des autres.
C’est que les Chinois ne se font pas de la mort la même
idée que nous;, n’étant pas bien sûrs que tout ne finit pas
avec la vie, ils veulent que les morts vivent encore, paisibles,
dans leurs dernières maisons, placées, construites, orientées
selon les plus minutieuses exigences du fong-choei. Le culte
des morts, qui se rattache au culte des ancêtres, est peut-être
le seul qui soit chez eüx sincère et profond, qu’il soit inspiré
par la tendresse ou par la peur. Les morts vivent autour
d’eux, près d’eux. Mais, pour les invoquer à de certains jours,
il faut savoir où les trouver. Pour le dernier des coolies, la
question de la sépulture et des conditions de la sépulture
est une question essentielle. A plus forte raison pour les
empereurs, fils du Ciel, anciens maîtres et tuteurs encore
présents de'ce pays.
Tout est ici plus grand qu’à Nankin, et non pas seulement
parce que le tombeau de Nankin ne contient que le
corps du fondateur de la dynastie des Ming, Hong-wou,
tandis qu’ici sont réunis treize empereurs de cette même
dynastie, depuis Young-Lo, qui transporta la capitale a
Pékin, et aussi de celle des Thsing, qui lui succéda: Mais le
site de Nankin manque un peu de grandeur, comme les collines
qui en forment le décor assez lointain. Ici, à Chi-san-
ling, c’est la vraie, la grande montagne qui commence, immédiatement
au-dessus des tombes. Elle les emprisonne dans
un vaste amphithéâtre (de la première à la sixième tombe, il
n’y a guère moins de cinq kilomètres), et l’accès même qu’elle
laisse ouvert du côté de la plaine est à demi barré par un
remblai. Si l ’on n’est pas saisi.d’abord, on sent peu à peu le
charme sévère de cette grande solitude ombragée de grands
arbres épars, thuias, chênes, pins, genévriers. Gn peut visiter
les pagodes, les unes à demi ruinées, les autres soutenues
par d’énormes troncs d’arbre qui forment colonnade (i),
décorées parfois de statues ou d’escaliers de marbre.
Nous n’avons pas visité tous les tombeaux; ils se ressemblent
tous un peu. Seul, celui du Ming Young-Lo doit son
originalité à ce que le temps a respecté la grande avenue de
neuf cents mètres qui y conduit. Comme à Nankin, elle est
(1) Dans son Journal en Mongolie, l’abbé David cite faite d’énormes troncs de bois de Nan-Mou d’une seule upnièec ed,e ecte ds ecso olounvnraagdeess « en marbre blanc saccbaroïde d’une très grande blancheur dont la carrière
est, dit-on, épuisée ».