Le fameux baume que fournissait le te rrito ire d’Ain-ël-Chems (Héliopolis) était
réservé p our le moristan et servait au tra item en t des malades.
Les dépenses de l ’établissement portaient même su r des objets qui nous
semblent superflus; il était alloué certaines sommes à des troupes de musiciens
qui venaient chaque jo u r d istraire, par le chant ou le son des instruments, les
malades d e .leu rs souffrances e t les convalescents de leurs préoccupations. La
re ch erch e des attentions dont les malades étaient entourés s ’est conservée dans
les seules mosquées du moristan. On annonçait la première p riè re , celle du
fager ou d é l ’aube, deux h eures plus tô t que dans les autres mosquées du Kaire,.
afin que les malades tourmentés p a r l ’insomnie pussent se croire plus tôt au
re to u r de l ’aurore qu’a ttendait leu r impatience. Les écrivains de l ’expédition
française o n t encore été témoins de ces soins délicats.
Il est fort difficile aujourd’h u i de juger ce qu’était autrefois le moristan
d ont les écrivains musulmans nous o n t laissé de si pompeuses descriptions. Le
plan publié p a r M. Coste contient des e rre u rs ; celui du grand ouvrage Expédition
française n ’est guère plus ex ac t, e t il serait impossible maintenant, sans
d ’immenses travaux, de retrouver, sinon le plan o rig in a l, du moins celui du
temps de sa splendeur.
L’édifice a subi maints changements à différentes époques,, mais surtout
depuis que les aliénés en ont été re tirés. L’intendant s’est arrogé le droit de
faire visiter et rép a re r les logements pour les louer, et ce bel-édifice est devenu
aujourd’hui une espèce d ’okkel où l’on trouve dès magasins de m a rm ite s , de
b assines, d ’a iguiè re s, de chaudrons, ainsi que de nombreuses.chambres,occupées
p a r des marchands du voisinage.
En voyant ce d é so rd re , on se demande pourquoi I on n a pas rép a ré cet
hospice consacré de temps im m ém o rial, plutôt que de dé té riore r la mosquée
de Touloun pour la convertir en hospice : l’a rt e t les deux monuments y auraient
gagné. J/étu d e du grand moristan est d’autant plus précieuse pour l’histoire de
l’archite cture arabe qu ’il n ’y a plus debout aucun palais de son époque, et q u ’il
rappelle, p a r sa distribution et son genre ¿ ’ornementation, les édifices civils
des premiers temps. Nous en avons pour preuve la conformité du plan de s.e$
salles avec les ruines de l ’iwân d’un ancien palais a ttrib u é à Salah-el-Din,
découvert près de Mékremeh.
La disposition principale e t le plan de la cour se retrouvent facilement^
c’est toujours la c roix latine, dont les deux côtés opposés é taient couverts p a r u n
grand berceau ogival, et ornés de fontaines e t de jets d ’eau dont on voit encore
les restes. Le petit kiosque e t les péristyles ont été ajoutés postérieurement.
À l’exception du tombeau de Qalaoùn, qui est entre tenu avec u n soin religieux
et provoque une grande dévotion de la p a rt des musu lm an s, l’intérieur
est méconnaissable, et, sur les débris mutilés, épars çà et là, il est difficile de se
faire une idée de ee splendide hospiee consacré au soulagement de l’humanité.
II ne reste guère, de sa décoration primitive, que des fragments, à l ’exception
de deux portes de bois, mutilées p a r le sommet pour les adapter à la hauteu
r de la baie qu ’elles ferment aujourd’h ui. Ces portes de s a p in , dont les fines
sculptures tombent de vétusté e t commencent à disparaître après six siècles-
d ’existence, é taient fort belles, élégantes et d’un goût dont on retrouvé peu de
Spécimens en Egypte. Ces deux portes, d e ;3m,82 de h au teu r, é taient séparées
en deux vantaux de l m,30, contenant h u it panneaux d ’arabesques profondément
sculptées, à - l ’exception des fleurons du centre qui se détachent
en p lein, rep ré sen tan t tous le même motif d’entrelacs e t de rinceaux, diversifiés
p a r des figures d’hommes e t d ’animaux entremêlés symétriquement dans les
volutes des arabesques. La soffite é ta it ornée de la même façon, e t l’on retrouve
encore, jetée dans une salle ab an d o n n é e , une planche de sapin dont les sculpture
s sont bien conservées, mais beaucoup plus grossières, parce que, probablement,
elles devaient ê tre vues à une certaine hau teu r comme les plafonds dé
l’au tre pièce, où l ’on distingue en co re des animaux sculptés dans les arabesques.
Ce précieux fragment, déjà entamé p a r la hache des charpentiers, aide à re s titu e r
les figures des panneaux vermoulus des deux portes. Nous avons fait pren d re
dès estampages des parties les mieux conservées e t, en les soumettant à tou à
les jeux d e l à lumière en présence de l’o rig in a l, nous sommes parvenus à
re trouve r les grandes lignes de ces beaux panneaux, qui devaient ê tre jadis
Coloriés e t dorés.
Quant aux d é ta ils , on peut s’en faire une idée p a r certains vases dé
métal, décorés de la même façon, qu’on retrouve aujourd’hui dans les musées
de l’Europe.
A l ’exception de la porte, du plafond dont nous venons de p a rle r e t d ’une
armoire assez rem a rq u ab le , aucune au tre partie de • l ’édifice ne pré sen te plus
aujourd’hui de figures d’hémmes ou d ’animaux; celles qu’on voit su r les monuments
de ce pays ne sé trouvent guère que su r des portes de bois ou su r
cuivre. Proviennent-elles des chrétiens? Nous ne le pensons pas. Quoi qu’il en
soit, ces ornements prouvent qu’à cette époque les images admises dans les
édifices privés n ’étaient pas proscrites dés lieux publics, mais seulement des
édifices du culte.