Après avoir ru in é l’empire des fa timites, Salah-el-Din, pour se mettre à
l’abri de toute a ttaque, chercha à se b â tir un asile plus sû r que le palais du vizi-
ra t du Kaire (Dar-el-Omzyrah), -— dans le Derb-el-Asfar, à gauche eh entrant
p a r Bab-el-Nasr, — que les soultans avaient habité ju sq u ’alors, e t il se décida
p our l’emplacement où est situé le château, parce q u ’on avait observé que la
viande s’y conservait deux fois plus longtemps qu’au Kaire.
Il ordonna à l’un de ses émirs, Boha-el-Din Qarâqouch-Àssady, d’y élever une
citadelle; celui-ci fit apporter les pierres provenant de la démolition des.petites
pyramides de Gyzeh, e t construisit avec ces matériaux la citadelle et le remp
a rt du Kaire ou m u r d ’enceinte.
Mergy n ’attribue a l ’émir Qarâqouch que la construction du rempart. Selon
Abd-el-Rachyd-el-Balcaouy, ces travaux ne furent terminés que quarante-deux
ans plus ta rd p a r Melek-el-Kamel Nasr-el-Din, fils de Malek-el-Adel Seif-el-
Din.
Salah-el-Din e t son fils ne ré s id èren t à la citadelle que momentanément;
mais depuis Kamel, les princes e t les gouverneurs y ont presque toujours demeuré.
Cependant cet emplacement é ta it mal choisi p our u n châteaù-fort ; du
mont Moqattam, qui e st au levant, on plonge dans l’in té rieu r du château et l’on
peut aisément le battre en b rè c h e , mais, du côté du Kaire, cé lieu est bien
défendu p a r l’escarpement du rocher.
Du h au t de la citadelle, le voyageur a sous les yeux un magnifique specta
c le; quand il promène ses regards vers le Kaire, il a devant lui une des plus
imposantes perspectives que l ’on puisse imaginer. Plusieurs artistes ont cherché
à en re tra c e r l ’image, mais au cu n , selon n o u s , n ’a r é u s s i, e t peut-être est-il
impossible de le faire complètement.
Le panorama est immense, principalement du côté de l ’ouest. La vue
s ’étend bien loin dans le vaste dé se rt de Libye, à trois ou quatre lieues au delà
des grandes pyramides de Gyzeh e t de Saggarah, et de la plaine des Momus ju s qu
’aux derniers rameaux de la chaîne libyque. La grande plaine cultivée e t les
forêts de palmiers qui sont au pied de ces gigantesques m o n um en ts , le Nil qui
serpente comme u n ruban argenté, la charmante île de Roudah, la rive droite du
fleuve, partie verdoyante et partie sablonneuse, à droite Boulak, à gauche le vieux
Kaire, la vallée de l ’Égarement, e t plus près, la vallée des tombeaux et les aqueducs,
plus près encore l ’immense vallée du Kaire e t ses trois à quatre cents
minarets, à ses pieds une vaste place animée p a r une population pressée*
la masse majestueuse de la mosquée du soultan Hakem, le plus bel édifice
peu t-ê tre de toute la v ille , avec ses deux minarets qui s’élèvent au-dessus
de la citadelle même, les contrastes de l’Égypte antique e t moderne, les
tombeaux de l’ancienne capitale e t ceux de la nouvelle, les ruines d’Héliopolis
à d ro ite , à gauche celles de Memphis : to u t ce grand ensemble émeut le
spectateur le plus fro id , plonge le philosophe dans la méditation, l ’artiste
dans l’enthousiasme, et l’homme le plus indifférent dans la rêverie et la contemplation.
On a peine à se détacher de ce magique spectacle, unique su r le
globe.
L’édifice Je plus considérable de la citadelle est appelé ordinairement le
palais de Joseph; mais le véritable palais du château de Salah-el-Din est un
bâtiment ruiné, situé plus à l’ouest e t qui commandait la ville du Kaire. Le'
nom de Beyt-Youssouf-Salah-el-Din, qu’on lui donnait encore il y a peu de
temps, en est un témoignage. Il porte l ’empreinte d’une grande magnificence;
les murs sont massifs, parfaitement construits, couverts" de sculptures, de
mosaïques, de dorures et de peintures. Il renfermait une salle avec des voûtes,
douze grandes colonnes de g ran it; et était surmonté d’une coupole avec des
inscriptions en lettres d’or. Cet ouvrage doit dater de l’an 567 de l’hégire (1171).
Un autre palais beaucoup plus ré c en t est celui du p a c h a , situé au m id i,
mais également ruiné.
Disons quelques mots' du fameux édifice appelé improprement : palais de
Joseph ou Divan de Joseph. Ce qui lui a valu sa réputation, ce sont su rto u t ses
trente-deux belles colonnes de granit, subsistant encore, avec les grandes murailles
e t u n e partie des plafonds. Les colonnes sont monolithes, toutes debout
e t mesurant 8 mètres environ de h au teu r sous les chapiteaux; les bases sont
en grès e t mal travaillées ; le d iam è tre , ordinairement u n m è tr e , n ’est pas
exactement le même pour toutes, ce qui prouve q u ’elles n ’ont pas été faites
pour le monument. Le galbe général d u chapiteau se rapproche du style corinthien,
mais les sculptures sont presque superficielles; ce sont de légers dessins
représentant des palmes, lisses, des filets, des noeuds e t aussi des volutes dans
les angles* avec peu de saillie. Le granit est rouge e t très-beau. On est étonné
du temps et du travail qu’il a fallu dépenser p our tran sp o rte r ces colonnes à
une telle élévation.
Elles portent des arcades en p ie rre , des frises couvertes d’inscriptions
arabes en lettres gigantesques, et aux angles des plafonds, à peu près comme
dans nos pendentifs, des ornements en bois à plusieurs étages disposés en
formé d ’encorbellement.
Le plan du monument est d’une conception plus savante que celui des plus
belles mosquées du Kaire. Enfin le goût qui règne dans la disposition diffère