CHA P ITR E V
DD G O U V E R N EM E N T , D E S MOEURS E T C O U TUM E S D E S .M A M L O U K S
Dans le tableau rapide que nous venons de tra c e r Abus la dénomination de
Prolégomènes historiques, bien que nous ayons mis en re lie f les souverains et
gouverneurs de l ’Égypte auxquels sont dues les plus remarquables oeuvres
d’a rt qui firent du Kaire, à une certaine époque, le centre de la civilisation
musulmane à son apogée, nous n ’avons pas voulu placer au second plan la
description tan t de la forme de gouvernement que du modus-vivéndi, adoptés
p a r ces audacieux mamlouks qui firent, un instant, une réalité du fantastique
ré c it des légendes orientales. •
Nous allons l ’en trep ren d re dans u n chapitre spécial, quoique nous ne
puissions pas e spérer, dans les quelques lignes que nous allons le u r consacrer,
en faire re s so rtir assez toute la grandeur e t to u t l’imprévu. Puisse un jo u r quelque
écrivain prestigieux s ’en faire l ’historien !
La souveraineté n’était pas, p our les chefs mamlouks, l ’a rt difficile de
d irig er vers u n b u t commun les passions diverses d’une société nombreuse ;
mais seulement u n moyen d’avoir plus de femmes, plus de bijoux, plus
d’esclaves e t de chevaux, e t la certitude de donner libre cours à leurs fantaisies
les plus extravagantes.
On conçoit qu’en changeant de fortune, les parvenus né changent pas leur
caractère ; ils p o rten t une âme d ’esclave, même en s ’élevant ju sq u ’à la condition
des rois. Aussi, l’administration des chefs mamlouks, à l’in té rie u r comme à
l’exté rieur, se réduisit-elle, d’un côté, à manoeuvrer vis-à-vis de la cour de
Constantinople de façon à éluder le trib u t ou les menaces du s u lta n , et de
l ’au tre , à ach e te r beaucoup d ’esclaves, à m ultiplier leurs amis e t à d é tru ire leurs
ennemis secrets, p a r le fer ou p a r le poison.
Vivant toujours dans les alarmes comme les anciens tyrans de Syracuse,
beaucoup d ’en tre eux ne dormaient qu’au milieu des carabines e t des sab re s : ils
n ’avaient, du reste, aucune idée de police ou d ’ordre p u b lic ; leu r unique souci
était de se p ro cu re r de l’a rgent, e t le moyen pra tique mis en oeuvre, regardé
p a r e tx comme le plus simple,, consistait à saisir cet arg en t tant convoité p a rtout
où il se m ontrait, à l ’a rra ch e r au besoin à quiconque en possédait, à
imposer des contributions arbitraires su r les villages e t surtout su r la douane.
. Les moeurs de ces mamlouks é ta ien t telles, en effet, qu’en re tra ç an t p our
Thistoire la simple.vérité, on p eu t craindre d ’encourir le soupçon d’une exagéra
tio n passionnée,
Nés pour la p lu p a rt dans le rite Grec, et circoncis seulement au moment
où on les achetait,‘ ils n ’étaient aux yeux même des Turks que des renégats sans
foi ni religion. Étrangers en tre eux, ils n ’é taient liés p a r aucun des sentiments
naturels qui unissent les autres hommes; sans p arents, sans enfants, le passé
n’ayant rien fait p our eux, ils ne faisaient rien p our l ’avenir; re s tés p a r éducation
ignorants e t su p e rstitieu x , ils devenaient farouches p a r les meurtres,
séditieux par l’habitude des lu,multes, perfides p a r suite de leurs cabales constantes
en même temps, la dissimulation les ren d a it méprisables et les
débauches de toute.espèce les avaient corrompus, jusqu’à ce d e rn ie r degré de
la dépravation qui fut, de tout temps, le vice des. Grecs e t des Tartares.
En s’emparant du gouvernement de l ’Égypte, les mamlouks p riren t les
mesures nécessaires p o u r sfen a ssure r la possession; ils commencèrent p a r avilir
les corps militaires des azabs e t des janissaires. Ces corps n ’é taient déjà plus,
du reste, que de vains simulacres de milices et u n ramas d’artisans e t de vagabonds.
Les mamlouks en firent donc toute la force militaire de l’Égypte; cependant
leu r nombre n ’excédait pas 8,500 hommes, ta n t beks, lcachefs que
simples affranchis et mamlouks encore esclaves; dans ce nombre, il y avait
une foule de jeunes gens qui n ’avaient pas a tte in t vingt ou vingt-deux ans. Il
fallait aussi compter, .comme en faisanj:.encore p a rtie , quelques serradjes,
espèces de domestiques à cheval qui p o rta ien t les ordres des beks et remplissaient
les fonctions d ’huissiers; en somme, le to u t ensemble ne^dépassait pas
10,000. cavaliers.
Les mamlouks n’avaient pas d ’infanterie. Elle n ’a jamais été estimée par
des musulmans, su rto u t dans les provinces d ’Asie ; les préjugés des anciens
Perses et des T artares régnaient toujours dans ces contrées : la gu e rre n ’y étant
au tre chose que l ’a rt de fu ir et de poursuivre, l ’homme de cheval fu t rép u té le
seul homme de g uerre. C’est à ce titre que les mamlouks ne pe rm e tta ien t aux
habitants de l’Égypte que les mulets et les ânes, se ré servant pour eux seuls le