gigantesque évolution historique. Une telle étude noiis eût été d ’un grand
secours, car il est manifeste que tout ou partie de la doctrine de Mahomet dut,
p o u r réu ssir aussi p romptement, répondre aux desiderata des nations o rien t
taies, tandis qu’elle ne provoqua dans tout l’Occident que répulsion e t antipathie.
2° D E S L IE U T E N A N T S - D E S K H A L IF E S A P R È S AMR.
Les lieutenants des khalifes qui succédèrent à Amr n ’h é ritè ren t pas, hélas!
des qualités de ce grand homme ; aussi ne nous a rrêterons-nous pas à en faire
la complète én um é ra tio n , ce s erait à la fois horrible et monotone. Quelle
sinistre page, en effet, serait celle qui ra conte ra it les faits e t gestes de ces gouverneurs
e t de leurs m a ître s , les khalifes légitimes aussi bien que ceux des
Ommiades e t de le u rs successeurs les Abbassides.
Presque tous les vizirs, d it J .-J . Marcel, n ’a rriv è ren t au conseil qu’en pasr
san t su r le cadavre de le u r prédécesseur. Dans ces terribles annales, l ’historien
ne trouve, p o u r se reposer les yeux des flots du sang versé avec une férocité
si monstrueuse, que deux grandes fig u re s , celle d ’Haroun-el-Rachyd e t celle
d’El-Mâmouh.
Haroun, p ro te c teu r des lettres, lettré lui-même, libéral et magnifique, vulgarisa
parmi les Arabes les richesses litté ra ires des Grecs; il fit faire à ses frais
les traductions des meilleurs ouvrages de l’a n tiq u ité , importa à Baghdad les
industries é tran g è re s, protégea le développement des sciences indigènes e t se
mit, en un mot, à la tête du mouvement civilisateur.
C’est à lui que les savants peuvent faire remonter la découverte dé l ’algèbre,
ce pro d u it de l’esprit arabe, si exact e t si patient.
Tout le monde connaît la fameuse ambassade qu’il envoya à Charlemagne
l ’an 192 (807), e t les merveilles que déployèrent les fastueux personnages qui
la composaient, sous les yeux étonnés des Francs, encore barbares, de la cour
d ’Aix-la-Chapelle : l ’horloge avec ses portes, ses cavaliers, ses boules et ses bas^
sins d ’airain, a fourni matière à tous les commentaires des historiens contemporains,
e t les tapis merveilleux qu ’étendirent ces Orientaux, sous les pieds du
rude compagnon de Roland, éblouirent assez les yeux du fondateur de l’empire
d’Occident p our lu i faire rêv e r u n instant d ’ajouter à sa couronne d’autres
régions, voisines du Bosphore.
Les Arabes avaient surnommé Haroun, le justic ier ou plutôt l’homme de la
dro itu re (le d ro itu rie r El-Rachyd) ; quelques actes de justice directe, dont la tra dition
v it encore chez ces peuples* déterminèrent ce surnom.
Haroun, pour les musulmans, est en effet le khalife p a r excellence; aussi
lorsque dans leurs écrits ils disent : Ceci eut lieu sous le khalife, cette désignation
sous-entend toujours : Haroun-êl-Rachyd.
El-Mâmoun continua les traditions d’El-Rachyd. Son règne fu t pour l ’Arabie
littéraire e t scientifique ce que fu ren t pour Rome, pour l’Italie e t p o u r la
France, les âges d’Auguste, des Médicis e t de Louis XIV. Sous lui, la tolérance la
plus-entière, la protection la plus libérale, a ttirè ren t à Baghdad les lettrés, les
savants, les artistes de tous les pays. Profond théologien lui-même, il y rassembla,
dans un immense congrès, des théologiens de Constantinople, des mages
persans, des rabbins juifs, des bramines indous e t des pontifes guèbres; non-
seulemènt El-Mâmoun se plaisait à leurs entretiens, mais il provoquait leurs
controverses religieuses ou philosophiques en s’y mêlant comme un simple
savant, et donnait à ce débat contradictoire une haute tendance d ’utilité e t de
modération.
Les traductions d ’auteurs étrangers, commencées sous Haroun, se continuèrent
avec persévérance; les livres hébreux, syriaques, grecs et latins eu ren t
leur version arabe, contrôle précieux où, de nos jours, les orientalistes vont chercher
le redressement de tant d’e rreu rs volontaires, de tan t d ’oublis calculés,
que se permirent les copistes du moyen âge.
Ce fut sous El-Mâmoun que la science astronomique se précisa e t quitta son
caractère astrologique pour prendre dés formes plus exactes e t plus sérieuses.
Lui-même prenait aussi spécialement p a rt à ces grands travaux. Il fit mesurer
le premier, d’une manière exacte, un arc du méridien te rrestre.
Quelque passionné qu’il fût pour les sciences, El-Mâmoun su t cependant
s’occuper encore des réformes politiques e t judiciaires. Bienveillant, affectueux,
doué de vertus et de lumières, il avait un tel goût p o u r la clémence que souvent
il disait : « Si l’on savait quel plaisir j ’éprouve à pardonner, tous les criminels
viendraient à moi. » Pourquoi les chefs des peuples n ’ont-ils pas tous cette grandeur
d’âme, cette douceur et cette modération?
Pendant ces règnes tour à tour sanglants e t glorieux, les gouverneurs de
1 Egypte se succédèrent dans le palais de Fostat avec une incroyable rapidité.
On en vit jusqu’à vingt-cinq d u ran t le seul passage d ’Haroun su r le trône des
khalifes.
Nous ne nous arrêterons pas à dresser une liste de tous ces personnages
obscurs, dont le rôle ne consistait q u ’à piller à qui mieux mieux les contrées
qu ’ils étaient appelés à gouverner; c e qui fit que ce malheureux pays se trouva
trop affaissé pour puiser en lui-même les moyens de remédier aux maux dont