dédaigner Schagiar-el-Dorr, celle-ci le fit assassiner. D’aussi funestes préludes
firent p résager tout ce que l’Égypte a u ra it à souffrir sous de tels chefs; les tyrans
les plus d u rs sont toujours les esclaves qui' deviennent maîtres. Ce fut sous le
règne éphémère du fils d ’ibek qu ’Holagou, un descendant de Djen-Giz-Khan,
v in t avec ses Tartares d é tru ire Baghdad et abolir le khalifat dans la personne
de Mostazem, trente-sixième e t d e rn ie r Abbasside* (1258).
Le quatrième soultan turkoman, El-Melek-el-Daher, Rokn-el-Din Beybars,
surnommé El-Bondoqdary, s ’éleva aussi au trône par un meurtre ; .¡hais il signala
son règne par quelques actions mémorables1. 11 repoussa une nouvelle irruption
des Tartares, conquit la Nubie, fit ré p a re r le canal d ’Alexandrie, en c reuser le
port, enceindre la ville de murailles e t fonda plusieurs institutions utiles. C’est
lui qui abolit l’usage de prononcer le nom du prince dans les prières publiques.
Le dixième soultan turkoman, Qalaoûn, est encore un des caractères les
plus saillants de cette sanglante époque. 11 était du Kapdjag ou Kibdjak, de la
trib u des Bourdjoghi. Encore très-jeune, il avait été acheté comme esclave par
l ’émir Alah-el-Din, pour une somme de 1,000 pièces d ’or ou dynars; cette c ir-
constancé lui avait fait donner le surnom d’El-Elfi, le millier, avec celui
d ’Alaïen qui rappelait le nom de son maître. Incorporé dans les Baharites,
il p a rvint rapidement au pouvoir.
A peine su r le trône et libre de tout souci, ce soultan diminua les impôts;
puis, quelques résistances individuelles ayant excité sa colère en 682 (1283),
Qalaoûn livra au sabre de ses mamïouks le peuple du Kaire qui avait refiisé
d’obéir à u n édit tyrannique.
Le massacre d u ra trois jo u rs ; âge, sexe, rie n ne fu t épargné; à la prière
des ulémas cependant,, le soultan se laissa fléchir; et, rep en tan t de son crime
ou p lutôt p our le faire oublier, il fi t construire u n magnifique hôpital qu’il dota
richement e t qu’on admire encore au Kaire sous le nom de Moristan.
A l ’exemple de ses prédécesseurs, il s’était formé une garde de douze mille
mamïouks tcherkesses ou circassiens, achetés dans les marchés de l’Asie; cette
nouvelle garde prétorienne fut, dès l ’origine, difficile à discipliner, e t peu à peu
elle s’adonna à un luxe si effréné que Qalaoûn trouva urg en t de le réfréner, et
en 683 (128i), sur son o rdre, les mamïouks du ren t supprimer leurs broderies et
leurs ornements en or, couper les longues tresses de leurs cheveux renfermés
1, Ge khalife se présenta devant le conquérant revêtu du manteau du Prophète. Le grand khan fit brûler
le manteau e t en jeter les cendres dans le Tigre, afin, disait-il, d ’en conserver la pureté e t la sainteté.
% Ge Beybars est le héros d ’un roman de chevalerie arabe : son épée était plus longue et plus terrible que
la durandal de Roland, sa masse d’armes pesait 35 livres, etc.
dans des bourses en soie e t s’a strein d re à un vêtement uniforme, simple et
martial.
Cette milice devint bientôt, comme de coutume, maîtresse absolue; elle
éleva les princes, les déposa, les étrangla et les remplaça au gré de ses.caprices
ou des inté rê ts des émirs les plus puissants. . .....s : ; /
Vers 681 de l’hégire (1282), les Ta rtares, sous le commandement d’Abaka-
Khan, ayant rep a ru en Syrie, les troupes égyptiennes les b a ttiren t et les refoulèrent
jusqu’à Hamadân, où Abaka mourut empoisonné p a r son frère.
C’est à son re to u r de Syrie, où il était allé assiéger e t b rû le r T rip o li, que
Qalaoûn re çu t un ambassadeur du roi d ’Aragon, e t conclut avec lui u n traité.
Ce fut le de rnie r acte important de sa vie. Consumé de lan g u eu r, il s’éteignit
au Kaire en 1290, et fut inhumé avec solennité dans l’enceinte de Moristan. Il
avait régné onze ans e t trois mois.
Ce chef d ’une nouvelle souche de mamïouks turkomans ou b ah a rite s, qui
donna à l’Égypte une longue série de souverains, fut surnommé par les Arabes
Abou-el-Moulouk, le père des rois.
Le fils aîné de Qalaoûn, Salah-el-Din-Khalil, lu i succéda sous le titre d’Ll-r •
Melek-el-Achraf. Son premier acte fut de proclamer la g uerre sainte e t de porte
r ses armes devant Saint-Jean-d’Acre, de rnie r boulevard des chrétiens. Les
templiers e t les chevaliers teutoniques prolongèrent la ré sistance; m a is , sans
égard p our la parole donnée, ils fu ren t massacrés ou réduits en esclavage, et
la ville fut démolie de fond en comble. Dans le cours de l ’année 1292, la
Syrie entière redevint musulmane, et, de toutes nos sanglantes c ro isad e s, il ne
resta à la chrétienté que le triste souvenir d’une occupation p ré c aire , dispendieuse
et ruineuse. De Syrie, Khalil porta ses armes en Arménie, s’empara
d’Erz-Roun, réputée imprenable, e t re tourna au Kaire où la m o rt, qui l’avait
épargné dans les combats, l ’attendait obscurément dans son palais. Un mam-
louk ambitieux, nommé Bay-Darah ou Beydarah, ayant noué des intrigues avec
les femmes, l’attendit caché dans le h a r em , e t le tua d’un coup de poignard;
puis, profitant de son crime, il se fit proclamer soultan, sous le nom de Melek-
el-Qâher; mais, vingt-quatre heures ap rè s, il fut immolé à son tour p a r cette
milice séditieuse qui intronisa su r l’instant, sous le nom de Melek-el-Nâcer, le
frère du soultan assassiné. C’était u n enfant de neuf ans qui laissait des chances
diverses à de nombreux changements e t libre c arriè re à toutes les ambitions ;
en effet, le régent ou atabek, l’émir Kerboghâ ou Ketboghâ, ancien esclave de
Qalaoûn, se rappelant la fortune de son maître, ne tarda pas à le supplanter e t
à se faire proclamer à sa place, avec le titre de Melek-el-Adel.