il souffrait; quelquefois il mu rm u ra it, mais ne se soulevait pas. C’est à peine si,
de temps à a u tre , il se passionnait à la surface p our quelques débats de re ligion
qui paraissaient du reste fort insignifiants aux k h a life s, la tolérance étant
la première vertu des musulmans, quoique l ’orthodoxie chrétienne, vaincue aux
premiers temps de la conquête, eû t rep ris peu à peu le dessus. A ce propos,
qu’on nous permette d’em p ru n te r à l’historien Sayd-ben-Batryk le ré c it d u n e
assez piquante aventure.
Obeyd-Àllah, l’un des gouverneurs de Fostat, avait envoyé à son père
ïïa ro u n , le khalife, une jeune esclave copte de la plus grande beauté. Le khalife
en é tant devenu amoureux, la jeune fille, à qui sans doute la leçon était faite,
tomba malade, refusa toute n o u rritu re et re n d it vaine la science des docteurs
de Baghdad : « Je suis Égyptienne, disait-elle, un médecin d ’Égypte p ourrait
seul me g u é rir. »
Le khalife ordonna qu’on fit v en ir d’Égypte le médecin le plus habile, qui
se trouva ê tre à p o in t nommé le patria rch e Melkite, à qui fut bientôt due une
guérison miraculeuse. Après la c u re , la récompense fut u n diplôme impérial
q ui rétablissait les Melkites orthodoxes dans tous leurs droits primitifs, à l ’exclusion
des Jacobites. Cependant il a rriva it parfois que les gouverneurs se donna
ient le plaisir d ’une persécution. Qorrah-ben-Gheryk, escorté de baladins et
de favoris, e n tra it souvent, pendant l ’office divin, dans les églises coptes ; après
lui, on v it Abd-el-Aziz b rise r les croix d 'o r et d’argent des Coptes, e t ordonner
de couvrir les portes des temples d’inscriptions blasphématoires; enfin, comme
pour y ajouter le sceau, Assamah contraignit les p rê tre s à p o rte r un anneau de
fer su r lequel était gravé le u r nom e t la date du payement de leu r cote personnelle;
il ordonna qu’à tout in stan t et à toute réquisition des agents du fisc, ils
seraient tenus de pré sente r cette singulière quittance, sous peine, pour les con-
trevenants, d ’avoir le poignet coupé.
Les chroniques orientales racontent encore, à ce su je t, une anecdote qui
p e in t bien to u t l’odieux du caractère de ces collecteurs avides. Une pauvre
veuve, voyageant avec son fils, avait épuisé ses ressources p o u r payer le coûteux
passe-port exigé, d ’après l’édit d’u n vice-roi, de tous ceux qui remontaient
le Nil. Ce passe-port coûtait 4.0 dynars p a r tê te , soit 4.50 francs environ. Elle
p a rtit après avoir acquitté les d ro its, et le jeune homrne attacha le précieux
p asse-port à sa cein tu re ; il arriv a qu e , dans le cours de la traversée, celui-ci,
s’é tan t penché vers le fleuve pour y puiser de l’eau, fut saisi e t dévoré p a r un
crocodile. Les agents de Fostat profitèrent de ce malheur pour exiger un nouveau
passe-port de la pauvre mère e t saisir ses hardes à défaut d argent.
Le terme de ces misères arriva sous Àhmed-ibn-Touloun q u i, l ’an 254 de
l’hégire, 868 de l ’ère vu lg a ire , v in t donner à ces malheureux peuples quelques
jours de répit. Il renouvela à Fostat les bienfaits des premiers temps de la conquête
: il était temps; c a r le précédent gouverneur, qui n ’avait p o u rtan t que
le titre d ’administrateur spécial, Ebn-el-Modabber, avait surpassé ses prédécesseurs
en raffinements d ’impôts, imaginant des combinaisons de taxe inconnues
jusqu’à lu i; il avait inventé le subside mensuel; il frappait d’un d roit le séjour
des bestiaux sur les pâturages vagues; il grevait d ’une redevance la pêche fluviale,
libre jusque-là. Survint Ahmed, avec le titre de gouverneur militaire. Le
collecteur/des deniers avait c ru habile de lui offrir, comme cadeau de bienvenue,
un présent de 10,000 dynars : « Gardez votre or, lui d it Ahmed; l ’o r ne
convient qu ’à un intendant des finances; donnez-moi vos soldats; c’est la seule
richesse d’un délégué militaire. »
Ahmed-ibn-Touloun, ainsi que son nom l’indique, était fils de Touloun, un
des esclaves de cette fameuse garde qu ’El-Mâmoun d’a b o rd , El-M o tassen
ensuite, avaient formée pa rm i les plus beaux, les plus grands e t les mieux faits
des jeunes gens turks, prisonniers de guerre. On sait que celte nation compren
ait les Turkomans, les Mogols e t les Tartares proprement d its ; elle occupait
le nord de l ’Asie, depuis l’Oxus ju sq u ’au Kathay, des frontières de l’empire
arabe jusqu’à la Chine.
Ces barbares à la rude écorce, que l ’esclavage n ’amoindrissait pas, savaient
devenir successivement soldats, ém irs , généraux, g o u v e rn eu rs, plus lard ministres,
quelquefois même souverains indépendants.
C’est l’histoire d ’Ahmed-ibn-Touloun. Son avancement avait été rapide :
brave, bien fait, il se distinguait p a r une figure ouverte et p a r des manières
affables et nobles; très-versé dans les matières de jurisprudence e t de religion,
il se fit bientôt des partisans parmi les docteurs des mosquées; de plus, son origine
(il était fils de Turk) lu i fit trouver de chauds auxiliaires dans les milices
de son pays. L’un des officiers les plus élevés, Barqouq, lui donna même sa
fille en mariage. Il était resté étranger aux intrigues du palais, soit par goût,
soit par calcul, et s’en tint toujours é loigné, sachant garder vis-à-vis de tous
une attitude de modération. Sans ambition apparente d’a b o rd , il ne visait qu’à
la science : on le vit solliciter u n congé pour aller à Tarse, en Cilicie, écouter
la parole des docteurs les plus célèbres de l’islamisme.
C’est au retour de ce pèlerinage scientifique que la caravane dont il faisait
partie fut attaquée par des Arabes bédouins. Ahmed avait alors vingt-neuf a n s ;
il sut organiser la défense, combattre personnellement avec une bravoure sans