Nous aurions pu nous contenter dé donner un ‘ seul spécimen de l’art calligraphique et
ornemental des manuscrits arabes, au xiv° siècle, mais pouvant offrir en parallèle un
autre chef-d’oeuvre du même temps, nous avons fait exécuter la magnifique planche GLXXX1I
qui est une reproduction authentique d’un Qorân du même siècle que le motif précédent.
On pourra, en se reportant à nôtre texte du chapitre VII,s’assurer de la véracité de notre
assertion.
Fragments d’ornementation cCun Qorân de la mosquée du soultan El-Ghoury
(pl. GLXXXIII à CLXXXVII). — Tous ceux qui ont parcouru les galeries égyptiennes à
l’Exposition universelle de 1867, ont pu admirer, dans les vitrines consacrées aux arts, les
superbes pages d’un grand Qorân provenant de l’une des; principales mosquées du Kaire, et
exposées à côté des magnifiques boiseries, provenant également des chaires de. mosquées.
Nous avons pu nous convaincre que ce manuscrit appartenait à un Ouaqf du soultan
El-Ghourÿ et qu’il avait été écrit à l’époque de la fondation de sa mosquée, c’est-à-dire au
commencement du xvi° siècle.
Malheureusement il nous a été impossible de calquer les doubles frontispices qui ornent
toujours le commencement de ce genre de manuscrits.
Nous n’avons pu glaner que, les plus beaux morceaux que nous avons réunis et groupés
pour en composer cinq planches.
La variété des ornements donne une idée exacte de la décoration des manuscrits à cette
époque où l’art commençait déjà.à perdre sa pureté primitive, quoiqu’il n’eût pas encore
été alourdi par le goût ottoman, qui domina quelques années plus tard, après la conquête
de Selym.
Du commencement à la lin de ce Qorân, c’est partout la même main et le même style :
le style arabe, quoique variant sans cesse, mais sacrifiant avec regret, çà et là, à quelques
réminiscences de la Perse ou de Byzance. Il eût été curieux, pour l’étude de l’art arabe, de
mettre en parallèle avec ses ornementations calligraphiques, les ornements dont sont couverts
les lambris de marbre et les portes d’armoires de la même mosquéër 'K ‘
Le tombeau du soultan El-Ghoury renfermait maintes reliques et divers Qôrâns décorés
d’une façon splendide. Lorsqu’on répara le dôme de cêt édifice en 1858, un dès plus beaux
exemplaires de cette collection fut enlevé dans une voiture de charrois et vendu à un Grec
qui l’apporta à Paris. La première page qui contenait la consécration du livre et le sceau du
soultan ayant été déchirée, on chargea de sa réparation un artiste qui vint nOus demander
conseil et nous confia le livre. C’est ainsi qu’il nous fut permis de copier à notre aise des
ornements que nous n’avions pu qu’entrevoir, jadis, dans les mains d’un gardien de cé
tombeau.
Ce Qorân démontre que l’ornementation des manuscrits, encore plus que la décoration
des édifices, était un mélange de tous les styles. Le calligraphe qui l’a orné aura voulu
varier ses tètes de chapitre et, poiir ce faire, il a emprunté les arabesques et les caractères
de tous les pays dé l’Islam, à différêntes époques.
Nous donnons (pl. CLXXXVIII à GXGI) plusieurs spécimens d’ornementation de manuscrits
et de Qôrans arabes des xvi® et xvne siècles.
Qorân mauresque (pl. CXGII à GG). — Mohammed Abou-Dahâb fit don à sa mosquée,
construite dans les environs d’El- Azhar, de ce splendide Qorân ; ^. provenait,
(Îit-on, d’un sultan du Maroc, Sidi-Mohammed. Nous avons publié les principales pages
de ce (beau manuscrit, que tous ceux qui l’admirèrent à l’Exposition universelle de. Paris,
en 1867, faisaient remonter beaucoup plus haut, tant le style mauresquç en était pur et
original.-
Ce Qorân aurait donc été écrit et déçoré en 1768 pour le sultan Sidi-Mohammed, empereur
du Maroc ; les arabesques sont d’un goût très-pur. Au premier coup d’oeil jeté sur le
manuscrit, on s’aperçoit qu’il avait été écrit sur du papier de Hollande portant pour marque
la devise Pro Patria} au-dessus d’un lion couronné tenant d’une patte un glaive et de l’autre
un faisceau de flèches, et suivi d’un chevalier armé de pied en cap : le tout d’un style qui
indique le x v i i i® siècle.
En outre, en lisant les grandes inscriptions des deux dernières pages, on voit que ce
splendide Mashaf a été exécuté, en effet, l’an 1182 de l’hégire (1768 de l’ère chrétienne)
pour un sultan du Maroc de la dynastie des schérifs. On y lit : « Gloire au Dieu unique,
que les bénédictions et le salut soient sur celui qui n’aura plus de prophète après lui. Celui
qui ordonne la transcription de ce noble Qorân, qui fait glorifier et honorer le Dieu très-haut,
est le maître, le noble, le glorieux, celui qui a une haute origine, en qui réside tout honneur
et dont les hommes apprécient l’éclatante renommée, celui dont les vertus font sourire le
. siècle, dont l’odeur de générosité donne aux fleurs un parfum qui se répand de tous côtés,
notre maître, le prince des Croyants, le khalife de Dieu, le sultan Sidi-Mohammed, fils du
.sultan notre maître Àbd-Allah, fils du sultan notre maître Ismayl. L’an 1182 (1728 ère vulgaire).
» — « Légué par Mohammed-Bay Abou-Dahâb, à sa' mosquée, l’an 1188 (177A). »
Au-dessus se trouve son cachet.
Les magnifiques arabesques qui décorent ce volume présentent toujours deux pages
placées en regard et ornées de la même façon, à quelques légers détails près : les lignes et
les arabesques dorées sont les mêmes, mais les autres parties sont coloriées d’une manière
différente : symétrie et variété qui leur donnent beaucoup de charme. En règle générale,
l’entrelac qui forme les cadres Ou les diagrammes est bleu, cerné d’or dans l’un, chrome
également cerné d’or dans l’autre, ou vert émeraude dans l’un et rouge kermisi dans l’autre.
Les arabesques qui décorent les intérieurs varient de couleurs sans règle fixe. L’or, qui domine
partout et cerne presque tous les ornements, fait ressembler chacune de ces pages à une
feuille d’or, couverte d’émaux cloisonnés. Bien différentes des arabesques qu’on admire dans
les autres manuscrits enluminés, la plupart de ces feuilles sont décorées d’une façon toute
architecturale, qui les rend doublement précieuses.
Chaque sujet est colorié à l’acide de 7 à 8 couleurs : jaune citron, orangé, rose, rouge,
cramoisi, bleu, vert et noir. L’or cerne ou forme tous les ornements. Les fonds jaunes, orangé