Yoici quelle fut la réponse d ’Amr :
« 0 prince des fidèles! peints-toi un dé se rt aride e t une campagne magnifique
au milieu d e ,d p u x montagnes , dont l ’une a la forme ,d’une colline de
sable, e t l ’a u tre celle du ventre d ’un cheval étique ou du dos d’un chameau.
Voilà l’Egypte ; toutes ses productions e t toutes ses richesses, depuis Aswan,
c’est-à-dire la triste , ju sq u ’à Raschyd et Damyath, viennent d’un fleuve béni
qui coule avec majesté au milieu d ’elle; le mouvement de la crue e t de la
re tra ite de ses eaux est aussi réglé que le cours du soleil e t de la lu n e ; il y a
une époque fixe dans l ’année où toutes les sources de l’univers viennent payer
à ce roi des fleuves le trib u t auquel la Providence les a assujetties envers lui.
Alors les eaux augmentent, so rten t de le u r lit e t couvrent toute la face de
l ’Égypte p our y déposer un limon productif. Il n ’y a plus de communication
d’un village à l’autre que p a r le moyen de barques légères aussi nombreuses
que les feuilles du palmier.
« Lorsque ensuite arrive le moment où ses eaux cessent d’être nécessaires
à la fertilité du sol, ce fleuve docile re n tre dans son lit p our laisser recueillir le
tré so r qu ’il a caché dans le sein de la te rre .
« Un peuple protégé du ciel et q u i, comme l’ab eille, ne semble destiné
qu ’à travailler pour les au tre s, sans profiter lui-même du fru it de ses sueurs,
ouvre légèrement les entrailles de la te rre e t y dépose des semences dont il
atten d la fécondité des bienfaits de cet ê tre qui fait croître e t m û rir les moissons.
Le germe se développe, la tige s’élève, l ’épi se forme p a r le secours d ’une
rosée qui supplée aux pluies et qui e n tre tien t le suc n o u rricier dont le sol est
imbu. A la plus abondante récolte succède tout à coup la stérilité. C’est a in si,
ô prin c e des fidèles, que l’Egypte oflie to u r à tour l ’image d’un désert poudreux,
d ’une plaine liquide e t argentée, d’un marécage noir et limoneux, d’une
prairie verte e t ondoyante, d’un p a rte rre orné de fleurs variées et d ’un guéret
couvert de moissons jaunissantes. Béni soit le c ré ateu r de tan t de merveilles!
« Trois choses, ô prince des fidèles, contribuent essentiellement à la prosp
érité de l ’Égypte e t au b onheur de ses habitants : la prem iè re , de ne point
adopter légèrement des projets enfantés p ar l’avidité fiscale et tendant à accroître
l’im p ô t; la seconde, d ’employer u n tiers des revenus à l’entretien des canaux,
des ponts e t des digues; la troisième, de ne lever l’impôt qu ’en nature su r les
fruits que la te rre produit.
« Salut* »
Ces renseignements que le khalife demandait à son lieu ten an t, la p lu p a rt
de nos lecteurs sont en d roit de les exiger de nous, mais avec tous les développements
que comporte la science moderne.
G E O G R A P H IE D E L’E G Y P T E .
Nous nous sommes servis, p our ce trav a il, des belles cartes dressées
dépuis l ’expédition française.
On y voit que l ’Égypte est une étroite v a llé e, comprise en tre les 2à0 et
32° degrés de latitude, e t les 28e et 31e degrés de longitude; elle e st arrosée
dans toute sa longueur, du sud au nord, p a r le cours peu sinueux du Nil.
Au sud, l ’Égypte a jp o u r limite une ligne imaginaire p a rtan t de la m e r de
Qobzoun (mer Rouge), p rè s de la ville d’Aibad, e t enfermant le pays des Haza-
ribs de Nubie. On p eu t la tra c e r également de la grande c atarac te , au delà du
mont Djinadel, jusqu’aux monts d ’Aden e t jusqu’aux roche rs d u Habiche
(Abyssinie).
A l ’est, elle est bornée p a r la mer Rouge, qui vient baigner une côte aride
e t toute semée de ro ch e rs ; puis, à p a rtir de Suez, une chaîne de montagnes,
dite chaîne Arabique, qui va se joindre aux montagnes de l ’Arabie P é tré e , la
termine du côté du désert.
A l’ouest, une b a rriè re d’autres montagnes a rid e s, qui a reçu de sa situation
géographique le nom de chaîne Libyque e t court pa rallèlement à la chaîne
Arabique, la sépare e t la préserve des sables de la Libye, tout en l’isolant de
ses oasis.
Au n ord en fin , la m e r Méditerranée est son infranchissable limite ; on
évalue sa superficie à seize cents lieues.
Le Nil est la seule rivière de cette contrée. Qui n ’a entendu p a rle r des
phénomènes de sa crue e t ignore que c’est aux débordements annuels de ce
fleuve que cette immense vallée doit toute sa fécondité? car, bien que les pluies
n y soient pas, à beaucoup près, aussi ra re s que les écrivains de l ’antiquité l’ont
prétendu, elles ne seraient jamais assez abondantes pour vaincre l ’aridité de
ce sol dénudé.
Le Nil prend sa source au pied des monts de la Lune , d’où le gonflement
de ses eaux, causé p a r les pluies tropicales, le force d ’app o rte r périodiquement
à 1 Egypte, avec la régula rité d ’un trib u t an n u e l, ce limon fertile dont ces
pluies dépouillent chaque printemps les régions équatoriales; ce so n t, on le
sait, les couches successives de ce lim o n , mêlées aux sables que les vents