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même nez, la même bouche; il n’est pas jusqu’aux trois raies du front qui ne se
trouvent chez l’un comme chez l’autre, seulement elles sont noires chez le Douroucouli
et blanches chez le Lori : aussi ces animaux ont-ils beaucoup de ressemblance
par le caractère, et leur influence dans l’économie de la nature doit être à peu près la
même : les Douroucoulis peuvent être considérés comme les Loris du Nouveau-
Monde. Cependant, malgré cette ressemblance générale, cette identité presque
complète dans les formes des têtes et dans la structure des sens, l’organisation n’est
pas la même, et ces animaux n’appartiennent point au même genre. Les types des
familles de -quadrumanes de l’ancien continent diffèrent de ceux des quadrumanes
du Nouveau-Monde, et l’on dirait que la nature elle-même ne peut point se soustraire
à cette règle. Le Lori appartient à ce grand genre Lemur de Linnæus, qui,
divisé depuis en plusieurs autres genres, s’est transformé en une famille riche et
variée. C’est à la famille des Sapajous qu’appartient le Douroucouli ; et il ne nous
montre pas des modifications moins importantes de son type général que le Lori
ne fait du sien-
Les dents du Douroucouli sont les mêmes que celles des Sajous ( 5. apella,
capucina, etc. Lin.) sans aucune exception, et si les canines étaient petites et
faibles dans notre individu, c’est sans doute parce qu’il était femelle. Le diamètre
des petits intestins est extrêmement petit en raison du diamètre des grands, et le
coecum simple n’a que deux pouces de profondeur, et est sensiblement plus petit
que l’estomac.
Les organes du mouvement ne présentent rien de très-particulier ; les quatre
mains sont conformées exactement comme celles des Sajous : seulement l’animal
n’étend point les doigts de celles de devant, qui restent relevés comme nous les
avons fait représenter ; les ongles sont longs-, étroits, en gouttières et un peu crochus;
la queue, très-mobile, et que l’animal ramène sur son dos, ou tourne autour
de son cou ou de ses jambes, n’est point prenante.
Les yeux ont la pupille ronde, et sont d’une grandeur démesurée : aucun organe
accessoire ne les accompagne. L’oreille externe, fort développée, a la structure de
celle de la plupart des autres quadrumanes, c’ëst-à-dire qu’elle est semblable à celle
de l’homme, si ce n’est que l’hélix est borné à sa partie antérieure, et ne consiste
plus postérieurement que dans un cartilage libre et plat ; mais on y trouve l’anthélix
et les tragus, ainsi que les branches du premier, qui se prolongent dans l’intérieur
de la conque. Le nez, qui s’étend au-delà du museau, mais qui n’est point
terminé par un mufle, a ses narines en partie en dessous de son extrémité, en
partie sur les côtés, mais leur ouverture est peu étendue. La bouche est fort grande
et sans abajoues, et la langue est douce. Les poils sont doux, épais, et tous de
nature soyeuse; et l’intérieur des mains présente des aires formés de sillons très-
fins , toujours parallèles, et ordinairement circoriscrits les uns dans les autres.
La vulve est grande, et assez semblable par sa forme extérieure à celle des chiens;
et sous chaque aisselle se trouve un mamelon.
Tout le pelage, aux parties supérieures du corps, est gris et formé de poils dont
la base est noire, et qui sont ensuite annelés de blanc et de noir. Les parties inférieures
sont orangées depuis le menton jusqu’à l’anus, et cette couleur remonte
sur les côtés du cou. La queue est d’un gris-jaunâtre dans les trois quarts de sa
longueur; le reste est noir. Le dessus des yeux est blanc, et trois lignes noires divisent
le front : l’une naît entre les deux yeux, les deux autres prennent naissance
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à l’angle externe de ces organes, et se recourbent, en montant, vers la première.
L’intérieur des mains et des oreilles sont nus et couleur de chair. La face, également
nue, est d’un noir de suie. L’iris est d’un brun-jaunâtre, et les ongles sont noirs.
L’individu que je viens de décrire avait les proportions suivantes :
Sa longueur, du sommet de la tête à l’origine de la queue, était de dix pouces; sa
queue en avait onze; sa tête, du museau à l’occiput, avait deux pouces trois lignes ;
la main, deux pouces; l’avant-bras, deux pouces neuf lignes; le bras, trois pouces;
le pied, trois pouces; la jambe, quatre pouces; et la cuisse, trois pouces six lignes.
Les Douroucoulis sont de véritables animaux de nuit. Durant tout le jour ils dorment
reployés sur eux-memes, et la tête cachée entre les jambes de devant ; mais
dès que le crépuscule commence, ils s’éveillent et agissent. La sensibilité de leurs
yeux pour la lumière paraît très-grande; car, lorsqu’on les expose au grand jour,
leur iris se ferme complètement ; au commencement de la nuit au contraire elle
s’ouvre à tel point que la pupille a presque la grandeur de l’oeil. C’est pendant la
nuit qu’ils satisfont à leurs besoins. Nous nourrissions le nôtre de lait de biscuit
et de fruits; mais, comme les Sajous et comme les Loris, le Douroucouli se nourrit
aussi d’insectes ; c’est ce que M. de Humboldt nous apprend. « Il chasse, dit-il les
petits oiseaux, et surtout les insectes Il mange tous les végétaux, et est surtout
friand des bananes, de la canne à sucre, des fruits de palmiers, des amandes de
bertholletia et des semences du mimosa inga. Ces animaux ne vivent point en troupes,
mais ils se réunissent par paires. Leur cri nocturne, formé de la syllabe muh-muh,
ressemble à celui du Jaguar : aussi les Rlancs qui visitent les Missions de l’Orénoque
1 appellent 1 iti-Tigre. Sa voix est d’un volume et d’une force extraordinaire par rapport
à la petitesse de,sa taille. Il a en outre deux autres cris, une espèce de miaulement
(e-i-aou), et le son guttural très-désagréable quer-quer; sa gorge enfle lorsqu’il
est irrité, et il ressemble alors, par son renflement et la position de son corps,
à un chat attaqué par un chien. » Je n’ai pu vérifier la plupart de ces faits, le
Douroucouli que j ’ai possédé n’ayant jamais été, par sa situation, dans le cas de
manifester ses penchans et de déployer les ressources q u ’il a reçues de la nature
pour sa conservation. Cet individu ‘était fort doux ; celui de M. de Humboldt au
contraire n’avait pu s’apprivoiser : différences qu’il faut sans doute attribuer à la
différence des sexes. Le mien était une femelle, l’autre était un mâle ; et l’on sait
que ceux-ci, chez tous les animaux, ont un caractère beaucoup plus intraitable que
les femelles.
Le genre auquel le Douroucouli sert de type avait reçu le nom d’Aotus, parce
que l’absence des oreilles externes paraissait être son caractère dominant. Aujourd’hui
qu’il est .bien constaté par l’individu que j ’ai possédé, le seul sur lequel
on l’ait vu jusqu’à ce jo u r , que le Douroucouli n’est point dépourvu de conque
auditive, il serait difficile de conserver à ce genre le nom d’Aote, quoique la signification
étymologique des noms propres finisse toujours par être oubliée. Je proposerai
donc de lui substituer celui de Nocthore (qui voit la nuit); Le Douroucouli
entrera dans les catalogues méthodiques sous le nom de Nocthora trivirgata.
Août 1824.