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comme d’autres têtes nous donnent lieu de le penser, devront caractériser deux
espèces. Il paraît que j ’avais été trompé par une tête mal étiquetée, lorsque j ’étais
conduit à affirmer, dans mon article Castor du Dictionnaire des Sciences naturelles,
qu’il n’y avait aucune différence entre les têtes des Castors d’Europe et celles des
Castors d’Amérique.
Nous avons donné les caractères génériques des Castors, en décrivant le Castor
du Canada, dans notre.6e. livraison (Mai 1819). Tout ce qui se rapporte aux organes
des Sens, à ceux du mouvement et à ceux de la génération sont exacts; aussi n’y
reviendrons-nous pas : mais je dois corriger une erreur relative aux dents mâche-
lières. Je dis que ces dents n’ont point de racines, et qu’elles croissent durant toute
la vie de l’animal. J’avais été conduit à décrire ainsi ces dents par celles d’un jeune
individu, lesquelles n’avaient en effet point encore leurs racines. Le fait est que
les mâchelières des individus adultes sont des dents à racines complètes et. tout-
à-fait semblables, sous ce rapport, à celles des Myopotames, des Pacas, etc., etc.
C’est, au reste, ce qui se trouve déjà établi dans mon ouvrage sur les Dents considérées
comme caractères zoologiques, pag. 182.
Le Castor solitaire ou terrier des bords du Rhône, que la Ménagerie a possédé,
lui avait été envoyé par M. le Préfet de l’Isère ; et cet animal avait été allaité par
une femme. Aussi avait-il une familiarité qu’oîi rencontre rarement dans des animaux
de races sauvages ; et sans les dégâts qu’il commettait en coupant avec ses
fortes incisives tout ce qu’il rencontrait, on aurait pu le faire jouir de la plus entière
liberté, sans craindre qu’il en abusât pour rentrer dans l'indépendance de la nature :
les personnes qui l’avaient nourri étaient nécessaires à ses besoins instiûctifs : elles
formaient sa famille. Son pelage, composé de poils longs et soyeux d’un fauve'sale,
et de poils laineux doux et brillans, tout-à-fait gris, était fauve grisâtre aux parties
supérieures du corps, d’une teinte plus pâle seulement aux parties* inférieures ; ce
qui .ne le rend point sensiblement différent de celui du Castor d’Amérique;' et
quoiqu’il ait été pris dans un trou du rivage de la rivière, et qu’il provînt consé-
quémment de parens qui ne construisaient point, il a cherché à construire toutes
les fois qu’on lui a donné pour cela des matériaux convenables. Voici au reste,
à cet égard, les observations qu’il nous a offertes.
Cet animal était logé dans une très-grande cage carrée, grillée sur deux de ses
faces- mais en dehors d’une des grilles était un volet, et entre elle et lui se
trouvait un espace vide où l’animal pouvait atteindre, au travers des barreaux de la
«rille, avec ses pâtes et son museau. On lui donnait habituellement pour nourriture
des branches de saule dont il mangeait l’écorce, et dès qu’elles étaient dépouillées,
il les coupait en petits morceaux et les entassait derrière la grille fermée du volet.
Ce fait me révélant le penchant de cet animal à bâtir, je lui fis donner de la terre
mêlée de paille et de branches d’arbres. Le lendemain je trouvai toutes ces matières
entassées derrière la grille; mais comme il ne travaillait jamais au grand
jour ni en présence de spectateurs, je fis entièrement fermer la,cage par des volets
où je pratiquai de petites ouvertures qui, d’une part, laissaient passer assez de
lumière, et de l’autre me permettaient de voir l’animal sans en être vu. Les choses
étant ainsi disposées, je lui fis donner de nouveaux matériaux, et à l’instant même
il se mit à l’ouvrage. L’intervalle de la grille au volet était toujours le lieu 'où il
cherchait à construire. Placé au milieu du tas de terre, il la jetait avec force en
arrière, de même que tout ce qui y était mêlé, à l’aide de ses quatre pâtes, et du
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côté où il voulait qu’elle se trouvât; et quand il avait ainsi travaillé pendant quelques
mstans, ou il formait de petites masses de cette terre avec ses pieds de devant, et
les poussait devant lui en s’aidant de son menton, ou les transportait simplement
avec sa bouche, et il ne paraissait mettre à ce travail apcun ordre; à mesure qu’il
plaçait ces matériaux, il les pressait fortement avec son museau les uns contre les
autres, et à la fin il en résulta une masse épaisse et solide. Souvent je l’ai vu un
bâton au travers de sa gueule, cherchant à l’enfoncer à coups redoublés dans l’édifice,
sans autre but apparent que d’y placer ce corps-là de plus. Lorsque les morceaux
de bois dépassaient la surface de la grille, ils étaient à l’instant coupés à son
niveau. Souvent il mêlait à la terre de construction le pain ou les racines qu’on lui
donnait aussi pour nourriture, et qu’il ne mangeait pas ; mais il les en retirait quand
il était pressé par la faim.
Sa propreté était extrême. Quand il ne dormait pas, il n’était occupé qu’à se
lisser le poil et à le dépouiller des plus petites impuretés. Il mangeait toujours assis
dans l’eau, et y plongeait ses alimens. C’était en cela que consistait toute son existence
durant le jour, qui était presque entièrement rempli par le sommeil. Lorsqu’il
se croyait menacé, il faisait entendre un bruit sourd, frappait avec force de sa
queue contre terre, et si l’inquiétude devenait plus grande, il se jetait avec colère
sur l’objet qui en était cause.
C’est donc par un mouvement tout-à-fàit instinctif et machinal que ce Castor
était porté à construire; aucune-circonstance extérieure ne"l’y déterminait; son
intelligence n y prenait aucune part ; il satisfaisait aveuglément un besoin aveugle
lui-même. L ’espace qu’il remplissait de terre n’en était pas mieux fermé par son
travail, et il ne pouvait résulter aucun bien-être pour lui de toutes les peines qu’il
se donnait par là, dans toutes les saisons comme dans tous lés temps.
Octobre 1825.