2 RHÉSUS, ÂGÉ DE 49 JOURS.
rait failli qu’il fît pour atteindre les corps, mais la plus ou moins grande distance où
ces corps étaient de lui.
Les soins de sa mère, dans tout ce qui'tenait à l’allaitement et à la sécurité de
son nouveau né, étaient aussi dévoués* aussi prévoyàns que l’imagination peut se le
figurer. Elle n’entendait pas un bruit, n’apercevait pas un mouvement sans que
son attention ne fût excitée, et qu’elle ne manifestât une sollicitude qui se reportait
entièrement sur lui; car elle ne l’aurait jamais eue pour elle, apprivoisée au
point où elle l’était. Le poids de ce petit ne paraissait nuire à aucun de ses mou-
vemens, mais tous étaient si adroitement dirigés, que malgré leur variété ët leur
pétulance, jamais son nourrisson n’en souffrait* jamais elle ne l’a heurté, même
légèrement, contre les corps très-irréguliers sur lesquels elle pouvait courir et sauter.
Jusqu’au moment de la mise bas elle avait eu le visage et les fesses fortement
colorés en rouge; mais, presque immédiatement après, cette couleur, formée par
l’accumulation du sang, disparut entièrement, et sa face redevint couleur de chair.
A u bout de quinze jours environ le petit commença à se détacher de sa mère, et
dès ses premiers pas il montra une adresse et une force qui ne pouvaient être dus
ni à l’exercice, ni à l’expérience, et qui montraient bien de noüveatu que toutes les
suppositions qui ont été faites sur la nécessité absolue du toucher, pour l’exercice
de certaines fonctions de la vue sont illusoires. D’abord il s’accrocha aux grillages verticaux
dont sa cage était garnie, et montait ou descendait à sa fantaisie ; mais sa mère
semblait le suivre des yeux et des mains comme pour le Soutenir dans sa chute; et*
après quelques secondes de liberté, à un simple attouchement il retournait à sa
place habituelle ; d’autres fois il faisait aussi quelques pas sur la paille qui leur servait
de litière; et, dès ces premiers momens, je l’ai vu se laisser tomber volontairement
du haut de sa cage en bas, et arriver avec précision sur ses quatre pattes, puis
s’élancer contre le treillage, à une très-grande hauteur pour sa taille, ët en saisir
les mailles pour s’y accrocher, avec une prestesse qui égalait au moins celle des Singes
les plus expérimentés. Bientôt on vit la mère chercher de temps en temps à se débarrasser
de sa charge, tout en conservant la même sollicitude; car il n’était plus pour
elle un fardeau dès que le moindre danger pouvait être à craindre. A mesure que
les forces du petit se développaient, ses sauts et ses gambades devenaient plus sur-
prenans. Je me plaisais à l’examiner dans ses momens de gaîté* et je puis dire que
jamais je ne l’ai vu faire un faux mouvement, prendre de fausses dimensions, et ne
pas arriver avec l’exactitude la plus parfaite au point vers lequel il tendait. J’ai eu
par là la preuve évidente qu’un instinct particulier le dirigeait, pour juger des distances
et déterminer le degré de force qu’il devait déployer dans chacun de ses sauts.
Il est certain qu’avec l’intelligence même de l’homme il aurait fallu à cet animal de
nombreux essais, des tâtonnemens multipliés pour acquérir l’adresse qu’il avait, et
cependant il atteignait à peine la fin du premier mois de sa vie. Quand il s’agit de la
cause des actions des animaux, c’est bien le cas de dire : Que savons nous!
Ce n’est qu’après six semaines environ, qu’une nourriture plus substantielle que
le lait lui est devenue nécessaire; et alors un spëctacle nouveau s’est présenté à nous,
de nouvelles révélations nous ont été faites, par ces animaux, sur leur nature intellectuelle.
Cette mère, que nous avons vue si pleine de tendresse, mue par une
sollicitude si active, qui supportait son petit, suspendu sans aucun relâche à son
corps et à sa mamelle, et qu’on aurait jugé devoir porter l’amour maternel jusqu’à
prendre les alimens de sa propre bouche pour les lui donner, ne lui permit pas de
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toucher à la moindre portion de ses repas lorsqu’il commença à vouloir manger.
Dès qu’on lui avait donné les fruits et le pain qui lui étaient destinés, elle s’en emparait,
le repoussait aussitôt qu’il voulait approcher, et s’empressait de remplir ses abajoues
et ses mains pour que rien ne lui échappât; et qu’on ne cherche pas d’autre
causé que la gloutonnerie à cette action singulière ; elle ne pouvait vouloir forcer ce
petit à téter : elle n’avait presque plus de lait. Elle ne pouvait craindre non plus que
ces alimens lui fussent contraires; il les recherchait naturellement, et il s’est toujours
bien trouvé d’en avoir mangé. Aussi la faim le rendait-il très-pressant, très-téméraire
et très-adroit ; les coups de sa mère, qui à la vérité n’é taient jamais très-vio-
lens, ne l’intimidaient point, et quelque soin qu’elle prît pour l’éloigner et s’emparer
de tout, il parvenait toujours à dérober un assez bon nombre de morceaux
qu’il allait manger loin d’elle, en ayant toujours soin de lui tourner le dos; et cette
précaution n’était pas inutile ; car j ’ai vu cette mère plusieurs fois quitter sa place et
aller à l’autre bout de sa cage ôter des mains de son petit le morceau qu’il était parvenu
à se propurer.
Pour éviter Igs inconvéniens d’un sentiment si peu maternel, on eut la précaution
dé placer dans la cage une beaucoup plus grande quantité d’alimens que celle
qui lui-était nécessaire, et dont elle pouvait s’emparer; alors le petit put avoir une
nourriture abondante sans trop faire d’efforts pour l’obtenir.
Il continue à vivre et jouit d’une santé qui paraît très-forte, toujours soigné par
sa mère, tant qu’elle ne mange pas. Il distingue fort bien ceux qui le nourrissent
et le caressent, ne montre aucune malice, et n’a encore du caractère du Singe que
son adresse et sa vivacité.
Comme nous l’avons dit, tous ses sens étaient ouverts au moment de, sa naissance;
son corps était entièrement couvert d’un pelage qui ne différait de celui
des adultes qu’en ce qu’il avait une teinte plus pâle, car la partie plus fauve des
fesses se montrait déjà. Ce qui le distinguait dans ses formes, c’est que ses membres
étaient plus grêles et sa tête plus grosse.
Mars 1825.