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trême; mais ce qui étonnera peut-être, c’est qu’il ne savait pas naturellement nager :
ayant été jeté à l’eau, il s’est débattu et n’a fait aucun des mouvemens qui auraient
pu le maintenir facilement à sa.suriàce* . . . .
Ce Chien, qui était femelle, avait environ dix-huit mois lorsqu’il arriva en Europe.
Il vivait en liberté dans le vaisseau où il était embarqué, et malgré les corrections
qu’on lui infligeait, ainsi qu’à un jeune mâle mort des suites d’un châtiment trop
rude, il n’a eessé de dérober à bord tout ce qui convenait à son appétit.
L ’expérience n’ayant pu lui donner le sentiment de ses forces, relativement à ce
qui l’environnait, il se serait exposé chaque jour à perdre la vie s’il eût pu se livrer
à son aveugle et courageuse ardeur. Non-seulement il attaquait, sans la moindre hésitation,
les Chiens de la plus forte taille; mais nous l’avons vu plusieurs fois, dans
les premiers temps de son séjour à notre Ménagerie, se jeter en grondant sur les
grilles au travers desquelles il apercevait un Lion, une Panthère ou un Ours, surtout
quand ceux-ci avaient l’air de le menacer. Cette témérité féroce paraît, au reste,
n’avoir pas été seulement l’effet de l’inexpérience, mais avoir tenu au naturel de sa
race. Le rédacteur du Voyage de Phillip rapporte qu’un de ces Chiens, qui était
en Angleterre, se jetait sur tous les animaux, et qu’un jour il attaqua un âne, qu il
aurait tué si l’on n’était venu à son secours. La présence de l’homme ne Pîntimidait
même point, quoiqu’il eût plus d’une fois ressenti la supériorité de son maître-il
sèjetait sur la personne qui lui déplaisait, et principalement sur les enfans, sans
aucun motif apparent: ce qui semble confirmer ce que dit Watkin-Tinch de la haine
de ces Chiens pour les Anglais lorsque ceux-ci débarquèrent au port Jackson. Si cet
animal se laissait conduire par le gardien qui le nourrissait et le soignait, ce n’était
qu’en laisse : il ne lui obéissait point, était sourd à sa voix, et le châtiment bétonnait
et le révoltait. Il affectionnait particulièrement celui qui le faisait jouir le plus
souvent de la liberté; il le distinguait de loin, témoignait son espérance et sa joie
par ses sauts, l’appelait en poussant un petit cri doux et plaintif, et aussitôt que la
porte de sa cage était ouverte, il s’élancait, faisait rapidement le tour de son enclos
comme pour le reconnaître, et revenait à son maître lui donner quelques marques
d’attachement, qui consistaient à sauter vivement à ses côtés, et à lui lécher les
mains. Ce penchant à une affection particulière s’accorde avec ce que les voyageurs
assurent d e la fidélité exclusive du Chien de la Nouvelle-Hollande pour ses maîtres.
Mais si cet animal donnait quelques caresses, ce n’était que par une sorte de reconnaissance,
et non point pour en obtenir d’autres; il souffrait volontiers celles qu on
lui faisait et ne les recherchait point. Ses jeux étaient sans gaîté ; il marquait sa
colère par trois ou quatre aboiemens confus; mais, excepté ee cas, il était très-si-
Iencieux. Bien différent de nos Chiens domestiques, celui-ci n’avait point le sentiment
de ce qui ne lui appartenait point, et ne respectait rien de ce qu’il lui convenait
de s’approprier; il se jetait avec fureur sur la volaille, et semblait ne s’être
jamais reposé que sur lui-même du soin de se nourrir; comme on aurait déjà pu le
conclure d ’un passage de Barrington, qui porte que, quelques soins que l’on se donne
pour apprivoiser cette race de Chien, on ne peut l’empêcher de se jeter sur les mou-
tons, les cochons, la volaille.
Il appartenait sans doute au peuple le plus pauvre et le moins industrieux de a
terre de posséder le Chien le plus enclin à la rapine. Cependant le sauvage de la
Nouvelle-Hollande s’en fait accompagner à la chasse, et l’un et l’autre alors nous
offrent bien le tableau où Buffon peint l’homme et le chien s’entr’aidatrt pour la
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première fois, poursuivant de concert la proie qui doit les nourrir, et la partageant
ensemble après l’avoir atteinte.
Ce que notre animal mangeait le plus volontiers, c’était là viande crue et fraîche;
il a constamment refusé le poisson, mais non pas le pain; il goûtait avec plaisir aux
matières sucrées, et dès qu’il était repu il cherchait à enfouir les restes de son repas*
Son rut ne s’est montré qu’une fois chaque année, et en été, ce qui correspond
à l ’hiver de la Nouvelle-Hollande, et fait rentrer le rut de ces Chiens dans la règle
à laquelle nous avons cru apercevoir qu’il était soumis chez lès Mammifères carnassiers
en général. Chaque fois que cet état s’ est manifesté, on a cherché à l’aecoû-
pler avec un Chien qui s’én rapprochât par les formes ist les couleurs ; l’union a
eu lieu, mais non pas la conception : ce qui confirme la difficulté qu’on a généralement
à faire produire deux races très-éloignées l’une de l’autre.
La manière dont ce Chien a vécu ne lui a, pour ainsi dire; permis d’acquérir aucune
expérience j aucun développement intellectuel. Les châtimens l’auraient rendu
plus docile; avec des soins particuliers ses qualités naturelles se seraient accrues;
il aurait, en quelque sorte, dans d’autres circonstances étendu son éducation; et,
relativement à nous, il se serait perfectionné, comme il arrive à tous les individus
de sa race qui vivent aujourd’hui librement dans les colonies anglaises de la Nouvelle-
Hollande. Au lieu de ce perfectionnement que nos Chiens domestiques nous montrent
assez, il nous^a fait connaître les caractères propres de sa race, tels qu’elle les a reçus
de l’influence et du degré de civilisation, des hommes qui se la sont associée. Or, cés
hommes sont de tous ceux qui sont connus les plus brutes et les plus grossiers, ceux
qui sont restés le plus près de la nature, qui se sont créé le moins de besoins, et dont
les qualités intellectuelles et morales ont acquis le moins de développement. Nous
pouvons donc considérer avec raison le Chien qui leur est soumis comme celui qui est
aussi le plus près de l’état sauvage, qui a le moins été modifié et qui nous présente le
plus fidèlement les caractères de son espèce, laquelle, comme on sait, n’a point encore
été reconnue dans l’état de pure nature. C’est aussi cette race de Chien que nous
avons pris pour type de l’espèce dans l’essai de classification des Chiens domestiques
que nous avons publié dans le xvnC, volume des Annales du Muséum d’Histoire naturelle;
et c’est à elle encore que nous comparerons ce que nous aurons à dire des diar
verses races de Chiens dont nous donnerons les figures dans cette Histoire naturelle
des Mammifères. De toutes les races dont nous avons parlé jusqu’à présent, c’est
celle des Eskimaux qui devait ressembler le plus à celle de la Nouvelle-Hollande;
elle appartient au pays le plus sauvage et le plus ingrat de la terre, à une contrée
où les hommes ne peuvent former que de petites sociétés semblables à des hordes
de sauvages, quoiqu’ils soient loin de l’être eux-mêmes, où les besoins et l’industrie
sont renfermés dans les plus étroites limites, où la pêche seule peut procurer
les moyens de subsistance; et où conséquemment ces animaux, ne pouvant être employés
à la chasse, sont devenus pour les habitansde ces tristes contrées de véritables
bêtes de somme, tout en conservant une grande indépendance au milieu des
solitudes glacées qui les environnent*
En effet, nous avons vu que le Chien des Eskimaux se rapproche déjà des Chiens
de berger par l’étendue des organes cérébraux, et qu’il ressemble tout-à-fait à ceux
de la Nouvelle-Hollande par le besoin de la liberté, le sentiment de la suffisance
de ses forces, le désir de se livrer sans entraves à l’ëxercice de sa volonté, ou,
pour parler plus exactement, à l’impulsion de ses besoins. L ’un et l’autre n’avaient