6 ORANG-OUTANG, FEMELLE.
Je l’ai vü très-souvent témoigner ainsi son impatience , clés qu’on lui refusait quelque
chose qu’il désirait vivement et qu’il avait sollicité. Cet Orang-Outang aurait-il été
conduit à agir ainsi par une sorte de'calcul? On serait tenfé de le croire ; car dans
• sa colère il relevait la tête de temps en temps et suspendait ses cris pour regarder
les personnes qui étaient près de lui et voir s’il avait produit quelque effet sur elles,
et si elles se disposaient à lui céder ; lorsqu’il croyait ne rien apercevoir de favorable
dans les regards ou dans les gestes, il recommençait à crier.
Ce besoin d’affection portait ordinairement notre Orang-Outang à rechercher les
personnes qu’il connaissait et à fuir la solitude*qui paraissait beaucoup lui déplaire,
et il le poussa un jour à employer encore son intelligence d’une manière très-
remarquable. On le tenait dans une pièce voisine du salon où l’on se rassemblait
habituellement ; plusieurs fois il avait monté sur une chaise pour ouvrir la porte
du salon ; la place ordinaire de la chaise était près de cette porte, et là serrure
se fermait avec un pêne. Une fois,' pour Fempêcher C en tre r y on avait ôté la
chaise dù vdisinage de la porte : mais à peine celle-ci fût-elle fermée qu’on la vit
s’ouvrir et l’Orang-Outang- descendre de cette même chaise qu’il avait apportée
pour s’élever au niveau de Ja serrure: Il es> certain que jamais on n’avait enseigné
à cet animal à agir de la sorte, et il n’avait même vu le faire à personrie. Tout
ce qu’il avait pu apprendre par sa propre expérience, c’est qu’en montant sur
une chaise il pouvait s’élever au niveau des choses qui étaient plus hautes que
lui ; et il avait pu voir par les actions des autres que les chaises étaient transportables
d’un lieu dans un autre, et que la porte dont il est question s’ouvrait en
en poussant le pêne ; tout le reste de cette action venait de lui. Les hommes, au
reste, ne sont pas les seuls ê#es, différent des Orangs-Outangs, auxquels ceux-ci
peuvent s’attacher : notre animal avait pris pour deux petits chats une affection qui
ne lui était pas toujours agréable : il tenait ordinairement l’un ou l’autre sous son
bras, et d’autres fois il se plaisait à les placed sur sa tête.; mais comme dans ces
divers mouvemens les chats éprouvaient souvent la crainte de tomber, ils s’accro-
rliaipnV la pfta|i j p. l’Orang-Ontang. qui souffrait avec beaucoup
de patience les douleurs qu’il en ressen®r.^TTéÜ3c cra-trois fois^, à la vérité, il examina
attentivement les pâtes de ces petits animaux, et après avoir découvert leurs
ongles, il.chercha*à les arracher, mais avec ses doigts seulement; n’ayant pu le
faire, il se résigna à souffrir, plutôt qu’à sacrifier le plaisir qu’il trouvait à jouer avec
eux. L ’instinct semblait encore*entrer pour quelque chose dans le mouvement par
lequel il portait ces petits chats sur sa tête. Si quelques papiers légers lui tombaient
sous la main, il les élevait sur sa tête ; s’il arrivait à une cheminée, il en prenait les
cendres à poignée et s’en couvrait la tête; il'faisait de même avec la terre, avec
les os qu’il avait rongés, etc/
Nous -avons dit que pour manger il prenait ses alimens avec ses mains ou avec
ses lèvres^ il n’était pas fort habile à manier nos instrumens de table, et à cet égard
il était dans le cas des sauvages que l’on a voulu faire manger avec nos fourchettes
et avec nos couteaux; mais il suppléait par son intelligence à sa maladresse : lorsque
les alimens qui étaient sur son assiette ne se plaçaient pas aisément sur sa cuillère
, il la donnait à son voisin pour la faire remplir. Il buvait très-bien dans un
verre, en le tenant entre ses deux mains. Un jour qu’après avoir reposé son
verre sur la table, il vit qu’il n’était pas d’à-plomb et qu’il allait tomber, il plaça
sa main du côté où ce verre penchait, pour le soutenir. Le premier de ces faits,
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qui a souvent été répété ici, a été vu de plusieurs personnes, et le second m’a
été rapporté par M. Decaen.
Presque tous les animant ont besoin de se garantir du froid,,et il est bien vraisemblable
que les Orangs-Outangs sont dans ce cas, surtout dans la saison des pluies.
J’ignore quels sont les moyens que ces animaux emploient dans leur état de nature
pour se préserver de l’intempérie „des saisons. Notre animal avait été habitué à
s’envelopper dans des ,couvertures, et il en avait presque un besoin continuel.
Dans le vaisseau il prenait pour se coucher tout ce qui lui paraissait convenable
: aussi lorsqu’un matelot avait perdu quelques hardes, il était présque
toujours sûr de les retrouver dans le lit de l’Orang-Outang. Le soin que cet animal
prenait à se couvrir le mit dans le cas de nous donner encore une très-belle
preuve de son intelligence. On mettait tous les jours sa couverture sur un gazon
devant la salle à manger, et après ses repas, qu’il faisait ordinairement à table,
il allait droit à sa couverture qu’il plaçait sur ses épaules, et revenait dans les
bras d’un petit, domestique pour qu’il le portât dans son lit. JJn jour qu’on av^it
retiré la couverture de dessus le gazon, et qu’on l’avait,^suspendae aurïïord d’une
croisée pour la faire sécher, notre Orang-Out^îg^fut^^cdmme à l’ordinaire, pour
la prendre; mais de la porte ayant aperfé qu’elle n’était'pas à sa place ordinaire,
il la chercha des yeux et la découvrit sur la fenêtre ; alors il s’achemina près d’elle,
la prit et revint comme à l’ordinaire pour se coucher.
Nous avons déjà fait remarquer que cet animal était beaucoup trop jeune pour
avoir pu nous montrer quelques phénomènes de son intelligence relatifs à la génération
et à ses besoins. C’est donc ici que je terminerai tout ce que j ’ai à dire sur
les facultés intellectuelles de l’Orang-Outang qui a fait le sujet de mes observations.
Je ne rapporte point ce que d ’autres auteurs nous ont appris de ces animaux, dans
la crainte de mêler cles observations précises à des faits inexacts, quoiqu’une grande
partie des choses extraordinaires qu’on a dites des Orangs-Outangs ne le soit guère
plus que pe que nous avons rapporté. Mais lorsqu’il s’agit de phénomènes qui
doivent établir.la dernière limite*entre l’intelligence de la brute et l ’intelligence de
l’homme, on ne peut,, on ne doit donner pour certain que ce qu’on a vu, que ce
qu’on a observé soi-même. Les erreurs ne peuvent plus être indifférentes, lorsque
leurs conséquence’s ne le sont pas.
Juin 1824*