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face, était légèrement saillant à son extrémité, et les narines avaient leurs ouvertures
au-dessous. Les yeux avaient la même conformation que ceux des singes, et les
oreilles ressemblaient entièrement aux nôtres.
La vulve, fort petite, avait ses lèvres à peine sensibles et son clitoris entièrement
caché ; mais cle chaque côté de cet organe on voyait une tache couleur de chair où
la peau semblait être d’une nature plus molle que celle des autres parties. Était-ce
line indication des. lèvres? Deux mamelles se trouvaient placées sur la poitrine,
comme chez les femmes. Le ventre était naturellement fort gros. Cet animal n’avait
ni queue, ni callosités, ni abajoues.
Il était presque entièrement couvert d’un poil roux plus ou moins foncé et plus
ou moins épais*sur les différentes parties du corps. La couleur de la peau était généralement
ardoisée*; mais les oreilles, le tour des yeux, le tour du museau, depuis
le nez, l’intérieur des mains et des pieds, les mamelles et une bande longitudinale
sur le côté droit du ventre étaient couleur de chair cuivrée. Les poils de la
tête, des avant-bras elrrles jambes étaient d’un roux plus fonce que ceux cïôs.autres
parties; et sur la tête, le dos, et la partie supérieure des bras, ils'étaient plus.épais
que partout ailleurs ; le ventre en était peu fourni, et la faç.e en avait moins encore;
la lèvre supérieure, le nez, la paume des mains et la plante des pieds étaient seuls
nus. Les ongles étaient noirs et les yeux bruns. Tous les poils étaient laineux et
de même nature ; ceux de l’avant-bras se dirigeaient vers le coude en montant,
ainsi que ceux du bras en descendant. Les poils de la tête, plus durs en général
que ceux des autres parties, se portaient tous en avant. La peau, mais principalement
celle de la face, était grôssière et chagrinée, et celle du dessous du cou si
flasque, que l’animal semblait avoir un goitre lorsqu’il était couché sur le côté.
Cet Orang-Outang était entièrement conformé pour grimper et pour faire des
arbres sa principale habitation. En effet, autant il grimpait avec facilité, autant il
marchait péniblement : lorsqu’il voulait monter à un arbre, il en empoignait le tronc
et les branches avec ses mains et avec ses pieds, et ne se servait ni de ses bras
ni de ses. cuisses T comme nous le faisons dans ce cas. Il passait facilement d’un
arbre à un autre, lnrsqilt!~1evbranrhf>s §g touchaient, de sorte que, dans une forêt
un peu épaisse, il n’y aurait eu aucune raison pour qu il descendit jamais a terre
où il marchait difficilement. En général tous ses mouvemens avaient de la lenteur;
mais ils semblaient être pénibles lorsqu’il voulait se transporter sur terre d’un lieu
dans un autre : d’abord il 'appuyait ses deux mains fermées sur le so l, se soulevait
sur ses longs bras et portait son train de derrière en avant j en faisant passer ses
pieds entre ses bras et en les portant au-delà des mains ; ensuite, appuyé sur son
train de derrière, il avançait la partie supérieure de son corps, s’appuyait de nouveau
sur ses poignets, se soulevait et recommençait à porter en avant son train de
derrière, comme nous l’avons dit d’abord. Ce n’était qu’en étant soutenu par la
main qu’il marchait sur ses pieds, encore, dans ce cas, s’aidait-il de son autre bras;
je l’ai peu vu s’appuyer sur la plante entière ; le plus souvent il n’en posait à terre
que le côté externe, semblant par là vouloir garantir ses doigts de tout frottement
sur le sol ; cependant quelquefois il appuyait le pied./sur toute sa base, mais alors
il tenait les deux dernières phalanges des' doigts recourbées, excepté le pouce qui
restait ouvert et écarté. Dans son état de repos il s’asseyait sur ses fesses, ayant
ses jambes reployées sous lui à la manière des Orientaux. Il se couchait indistinctement
sur le dos ou sur les côtes en retirant ses jambes à lui et en croisaut ses
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bras sur sa poitrine; alors il‘aimait à être couvert, et, pour cet effet, il prenait
toutes les étoffesp tous les linges qui se trouvaient près de lui.
Cet animal employait ses mairie comme nous employons généralement les nôtres,
et l’on voyait qu’il ne lui manquait què de l’expérience pour en faire l’usage que
nous en faisons dans un très-grand nombre de cas particuliers. Il portait le plus
souvent ses alimens à sa bouche'avec ses doigts; mais quelquefois aussi il les saisissait
avec ses longues lèvres, et c’était en humant qu’il buvait, comme le font tous
les animaux dont les lèvres peuvent s’allonger. Il se servoit de son odorat pour
juger la nature des alimens qu’on lui présentait et qu’il ne connaissait pas, et il
paraissait consulter ce sens avec beaucoup de soin. Il mangeait presque indistinctement
des fruits, des légumes, des oeufs, du lait, de la viande ; il aimait beaucoup
le pain, le café et les oranges; et une fois il vida, sans en être incommodé, un
encrier qui tomba sous sa main. Il ne mettait aucun ordre dans ses repas, et pouvait
manger à toute heure comme les enfans. Sa vue était fort bonne ainsi que son
oi\£e, mais ces sens ne nous ont d’ailleurs rien offert de remarquable. On a eu la
curiosité de voir quelle impression notre musique ferait sur cet animal, e t, comme
on aurait dû s’y attendre, elle ne lui en a fait aucune ; elle n’est même pour nous
qu’un besoin artificiel : jamais elle n’a fait sur les sauvages d’autre effet que celui
du bruit.
Pour se défendre, notre Orang-Oulang mordait et frappait de la main, mais ce
n’était qu’envers les enfans qu’il montrait quelque méchanceté, et c’était toujours
par impatience plutôt que par colère. En général il était doux et affectueux, et il
éprouvait un besoin naturel de vivre en société. Il aimait à être caressé, donnait
de véritables baisers, et paraissait trouver un plaisir fort grand à tetter les doigts
des personnes qui l’approchaient; mais il ne tettait point les siens. Son cri était
guttural et aigu ; il ne le faisait entendre que lorsqu’il désirait vivement quelque
chose. Alors tous ses signes étaient très-expressifs : il secouait sa tête en avant pour
montrer sa désapprobation, boudait lorsqu’on ne lui obéissait pas, et quand il était
en colère, il criait très-fort en se roulant par terre. Alors son cou se gonflait
singulièrement.
Cet Orang-Outang arriva à Paris dans les commencemens du mois de mars de 1808.
M. Decaen, officier de marine, èt frère de M. Decaen, capitaine-général des Iles
de France et de Rourbon, l’avait ramené de 4’Ile-de-France, et en avait-fait hommage
à Mme. Bonaparte, dont le goût éclairé pour l’histoire naturelle fut si favorable
aux progrès de cette science. Lorsqu’il arriva de Bornéo à l’Ile-de-France, on assura
qu’il n’avait que trois mois ; son séjour dans cette île fut de trois mois ; le vaisseau
qui l’apporta en Europe mit trois mois à sa traversée; il fut débarqué en Espagne,
et son voyage jusqu’à Paris dura deux mois : d’où il résulte qu’à la fin de l’hiver
de 1808 il était âgé de dix à onze mois. Les fatigues d’un si long voyage de mer
mais surtout le froid que cet animal éprouva en traversant les Pyrénées dans la
saison des neiges, mirent sa vie à toute extrémité, et en arrivant à Paris il avait
plusieurs doigts gelés, et il était atteint d’une fièvre 'hectique très-prononcée.
Malgré les soins les plus constans on ne put le rétablir, et il mourut après avoir
langui pendant cinq mois.
Cet animal, bien différent dé ceux dont on a fait l’histoire, n’avait été soumis à
aucune éducation particulière, et n’avait reçu d’autre influence .que celle des circonstances
au milieu desquelles41 avait vécu ; il ne devait rien à l’habitude, toutes