par une glace plus propre et plus fine, qui fait
bosse, mais ne tardera pas à descendre jusqu’au bas.
Il est huit heures moins un quart lorsque nous mettons
le pied, non sans un certain sentiment de fierté, sur le glacier
au haut duquel doit se trouver la récompense de quatre
mois de voyage. Combien de jours allons-nous employer à
le suivre et combien de semaines devrons-nous attendre
encore avant de toucher
au but ? Au dire des indigènes,
(121.) Front du Baltoro.
ne sait plus rien : c’est de
la véritable exploration qui
nous attend.
Les premiers pas ne
huit jours au moins
sont nécessaires pour remonter
jusqu’en face du
Chogori; au-delà, personne
(i22.) source du Braidoh. sont pas précisément faciles.
Le front du glacier
se termine à peu près partout à pic, ou peu s’en faut ;
une sorte de - couloir de glace comblé de débris morai-
niques est le seul point faible de cette muraille, malaisée
à attaquer. Nos hommes s’y engagent à la suite des caravanes
précédentes, en observant une grande prudence,
car les marches dans un éboulis reposant sur la glace inspirent
peu de confiance, et lorsqu’un gros bloc se détache
dans le couloir, il menace de balayer tout ce qui se trouve
sur son passage ; mais, malgré leurs charges, nos porteurs
les évitent avec une heureuse adresse, et tout le monde parnettement
vient sans encombre sur le dos presque plat du monstre.
Là, des difficultés d'un autre genre nous attendent. Si l’inclinaison
générale du glacier est presque nulle, la marche
cependant n’est pour ainsi dire jamais horizontale.
Divisé en trois bandes longitudinales de largeur à peu
près égale, le Baltoro présente des teintes variées suivant
la composition des moraines qui le recouvrent complètement;
la bande du nord est blanche et crevassée, dernier
vestige d’énormes glaciers latéraux et des débris marmoréens
de plusieurs sommets écroulés ; la bande médiane est
couverte d’une moraine gris clair, parsemée de lacs nombreux
et avec des dénivellations souvent considérables;
enfin celle du sud doit sa coloration brun foncé aux granits
dont sont formés la plupart des sommets bordant la rive
méridionale du glacier. Chacune de ces bandes est à son
tour subdivisée en une série de régions également parallèles
correspondant aux glaciers qui les ont formées.
Cette disposition en natte bien tissée, donnant l’impression
d’une énorme allée où les dents du rateau sont encore
marquées, est loin de se révéler à première vue. Jusqu’à la
première étape, on n’a que l’impression d’un vaste labyrinthe,
sans ordre apparent, d’une mer en furie, aux vagues
énormes subitement congelées, qu’une puissance infernale
aurait saupoudré de toutes les pierres et de tout le sable
d’un désert. Il faut gravir les pentes qui dominent le glacier
pour s’en faire une idée d’ensemble et remettre un peu
d’ordre dans ce vaste chaos : les - moraines se démêlent, on
peut remonter jusqu’à leur origine et, de ce qui semblait au
début confusion, se dégage une impression d’unité, d’ordre
parfait, que n’aurait jamais soupçonnée, au début, même un
alpiniste rompu à la pratique des glaciers.
Pour le moment, à peine nous rendons-nous compte des
variations de couleur des moraines, à mesure que nous passons
d’un groupe à l’autre, d’autant plus que le brouillard et
la neige se mettent de la partie.