photographie ! Cette dernière', en effet, était contenue dans
la plus petite des kiltas, et, à côté des plaques et des pellicules,
se trouvaient encore des instruments d’observation
et quelques livres.
Eckenstein et Knowles se rendent encore auprès du tah-
sildar pour finir d’organiser notre service postal. Le bureau
de poste a reçu l’ordre de lui remettre tout ce qui arrivera
à notre adresse poste restante, et deux hommes se sont
offerts pour apporter tour à tour notre courrier d’Europe
jusqu’à Askoley.
Ce service fonctionnera à merveille : deux jours après
notre arrivée à Askoley, un premier courrier nous y rejoindra,
inaugurant ainsi une étape nouvelle de la civilisation.
Ah ! si toutes les conquêtes pouvaient se faire d’une façon
aussi paisible, sans provoquer d’autres sentiments qu’un
peu de bonheur !
Ces dernières dispositions prises, on se rend au bord de
TIndus, qu’on passe en plusieurs escouades sur un grand
ponton manoeuvré par une douzaine de rameurs. A 8 heures,
bêtes et gens ont traversé, et l’on s’engage dans une grande
¡plaine de sable, Sahara en miniature, avec ses vallons, ses
collines, ses oasis, sa végétation rabougrie et spéciale, composée
exclusivement de plantes épineuses; par endroits le
sable est si fin et si régulier, qu’on peut suivre à la trace un
scarabée, une araignée ou une fourmi exactement comme
un chamois ou un oiseau sur la neige.
La marche, très pénible, y dure deux heures environ ;
après quoi, on arrive dans une gorge où le chemin, en partie
taillé dans le roc, est moins sablonneux, mais d’autant plus
pierreux; il monte sensiblement entre de belles parois de
granit, puis débouche sur un joli plateau au bord duquel
la vue s’étend sur toute la vallée de Shigar, dominée par le
Koser-Gunge et ses ramifications à l’est, à l’ouest par la chaîne
de séparation de cette vallée et de celle de l’Indus.
A partir de ce moment, nos tribulations sont finies pour
un temps, et nous allons entrer dans une ère de félicité, que
ni le pittoresque de là vallée du Sind, ni la sauvage grandeur
des vallées du Dras et de l’Indus n’ont pu nous procurer.
Pendant trois journées de marche, presque sans interruption,
nous avançons sans le moindre effort, sans autre
souci que de gagner l’étape à pied ou à cheval, sur une
route bien ombragée, au milieu d’une verte vallée entourée
de toute part de hauts et beaux sommets, recouverts encore
en partie des neiges de l’hiver.
Quand la route suit lé fond de la vallée, nous cheminons
sous de magnifiques allées de mûriers, d’abricotiers ou de
pommiers, formant au-dessus de nos têtes des dômes de
verdure impéné-
trables aux rayons
du soleil, et percés
seulement de place
en place de trouées
qui ménagent une
belle échappée sur
les montagnes voisines ou
sur un vallon latéral. Tous
les villages sont ainsi réunis
par ces belles allées,
et entourés de champs de
blé haut déjà de deux
pieds ; les nombreux canaux
(82.) Vallée de Sliigar et Koser-Gunge.
amènent une eau courante qui ajoute encore à la
fraîcheur, tout en animant les bords du chemin ; cette eau,
couleur café au lait, est des plus fertilisantes ; les indigènes
la boivent sans autre, et nous sommes souvent obligés de
nous en contenter ; mais nous la cuisons et ne l'employons
qué pour le thé. Les musulmans, dans leur grand respect
pour l’eau, même très sale, ne la souillent jamais, de sorte
qu’à toute nécessité on pourrait en boire sans la cuire, et
sans trop risquer de prendre une typhoïde.