grosse lune éclatante de lumière, visible encore au loin pendant
longtemps. Nous pouvions rester des heures entières à
admirer ce spectacle, que complétaient encore les dauphins
ou les requins attirés par le navire : ils se plaçaient en éclaireurs
à la proue, y jouaient, tout en luttant de vitesse avec
lui, bondissaient hors de l’eau et retombaient plus ou moins
lourdement avec le bruit caractéristique d’un baigneur qui
rate son saut; en rentrant dans l’eau, ils dérangeaient à leur
tour une myriade de noctiluques qui, s’allumant sur leur
passage, marquaient sous forme d’une fusée leur trajet au-
dessous de la surface de l’eau. Le navire paraissait alors
précédé d’une gerbe étincelante, formant le spectacle le plus
beau qu’on pût imaginer.
Enfin, le 14 au matin, on passe devant Périm, le Gibraltar
de cette seconde Méditerranée qu’est la Mer Rouge. Cette île
fortifiée commande entièrement le détroit de Bab-el-Mandeb:
position avantageuse encore renforcée par le voisinage
d’Aden, qui n’est qu’à une demi-journée de là; elle a comme
pendant sur la côte africaine Obock et le port de Djibouti,
qui donne à la France une certaine compensation par le
fait qu’une partie des paquebots de ce pays y fait escale,
créant une concurrence au monopole jusque là incontesté
d’Aden.
Longtemps avant d’arriver dans ce dernier port, nous
voyons apparaître, au coucher du soleil, deux sommets des
montagnes qui dominent la ville, puis les feux des phares;
à 9 heures on est en vue du port, et l’on mouille en face et à
peu de distance du débarcadère. Comme il fait nuit, nous
ne sommes pas assaillis par les camelots ; mais, sollicités
par une foule de petits bateliers qui veulent nous conduire
à terre, on se laisse tenter, et l’on va mettre le pied pour la
première fois sur le continent asiatique.
Notre première impression n’est pas des plus favorables.
En longeant la côte, nous approchons des fortifications;
arrêtés de tous côtés par des sentinelles qui, tout en s’excusant,
nous prient de nous éloigner, il ne nous reste que la
plage pour dégourdir nos jambes ; mais la chaleur est si
étouffante qu’on regagne au plus vite le navire, ou une légère
brise rend au moins la vie à peu près supportable.
Aden est réputé pour sa sécheresse extrême; il n’y pleut
pour ainsi dire jamais ; on nous affirma que depuis deux ans
il n’était pas tombé une goutte de pluie; on a recours à la
distillation de l’eau de mer pour alimenter les réservoirs et
les chaudières des navires._
La ville est bâtie au bord de la mer, de chaque côté d’un
promontoire couronné de formidables fortifications ; avant
tout, port de mer militaire, elle est constamment sous le,ré-
gime du pied de guerre, et les quelques commerçants ou
commissionnaires y-forment une infime minorité dans une
population presque exclusivement militaire.
Le 15 au matin, on repart en longeant la côte méridionale
de l’Arabie, qu’on perd de vue dans la soirée; nous voilà de
nouveau en pleine mer pour le reste de la traversée, jusqu’à
Bombay