De temps à autre, on sort se dégourdir un peu, et dans
les accalmies on entrevoit les géants qui nous dominent. Ils
produisent une impression d’unité et de simplicité qui en
font d’emblée des chefs-d’oeuvre en leur genre. Dès l’abord,
le Broad Peak, au sud, paraît plus imposant que son vis-à-
vis, le Chogori, au nord ; cela tient à ce que nous sommes
légèrement plus éloignés du premier que du second ; et plus
tai’d, cette première impression, loin de se modifier, s’accentuera
encore, de sorte qu’à l’heure qu’il est, nous donnerions
^volontiers la préférence au Broad Peak, s’il avait 450
ou 200 mètres de plus. Vu d’où nous sommes, et même de
plus haut, il présente un ensemble de formes plus harmonieux,
plus artistique, dirai-je, que son puissant voisin.
Mais le Chogori a ses 8611 mètres. Et nous lui réservons
aussi sa part de sympathie, ne fùt-ce qu’en souvenir de la
nuit du camp VIII et des impressions les plus profondes
qu’oeuvre belle ait jamais produites sur nous !
Abstraction faite des deux colosses qui gardent l’entrée
du plateau au bord duquel est posé le camp X, le reste des
montagnes qui nous entourent mérite aussi une description
sommaire.
Du côté du Thibet, au nord-est, on devine un col dont
on ne voit pas d’ici la plus basse dépression, et qui est dominé
à gauche, c’est-à-dire au nord, par un sommet que
nous baptisons le Staircase Peak (le Pic en escalier), grâce à
son arête méridionale, qui s’abaisse par quatre marches
régulières taillées pour quelque géant mythologique; à droite,
deux autres sommets moins élevés se dressent au-dessus de
l’arête qui, du Broad Peak, descend lentement sur le col
thibétain.
Le Chogori envoie aussi au nord-est une arête immense,
régulière, courant au dessus de 7000 mètres sans sommets
bien distincts, qui s’incurve, avant de se rattacher au Staircase
Peak, en une vaste concavité au fond de laquelle nous
établirons plus tard, pour quelques jours, notre XIIe camp.