de guides à éplucher; rien que des premières, toutes au-
dessus de 5000 mètres !
La fraîcheur du soir et l’appel du cuisinier m’arrachent à
ce spectacle grandiose, et je dégringole en quelques minutes
de mon perchoir de deux cents mètres, pour m’abriter derrière
la moraine qui limite notre camp au sud et nous protège
un peu du vent frais qui s’élève.
Knowles, grippé depuis deux jours et qui a ce soir un
peu de fièvre, se demande s’il pourra continuer demain à
avancer, d autant plus que, d’après les rapports, l’étape promet
d’être pénible.
Je vais encore examiner les étoiles, qui brillent ce soir
d’un éclat inaccoutumé'. En attendant que leurs feux soient
éteints, nos hommes chantonnent une mélopée plaintive,
pendant qu un des leurs, perché sur une éminence voisine,■
dit les prières du soir pour la communauté.
Le lendemain, Knowles se sent un peu mieux, et nous
levons le camp à 7 heures ; je pars en avant avec mon porteur,
en longeant le pied de la montagne, jusqu’au moment
où des rochers à pic nous barrent la route ; nous gagnons
alors le milieu du glacier, et retrouvons les traces des caravanes
précédentes qui se sont engagées sur la glace, en quittant
le campement. Comme rien ne presse, et que les cdolies
sont bien en arrière, nous flânons délicieusement, nous amusant
à élever force cairns ou à renforcer ceux qui existent déjà.
Après en avoir édifié un plus grand que les autres, à
l’endroit où le'glacier de Younghusband rejoint le Baltoro,
nous voulons nous offrir une cigarette ; mais ma boîte d’ai-
luinettes tire à sa fin, et le frottoir n’est jfius qu’un souvenir;
toutes y passent en vain. Enfin la dernière prend feu ; mais
un coup de vent l’éteint trop tôt! Fumeurs qui me lisez, connaissez
vous ce supplice : rouler soigneusement une cigarette
et chercher en vain à l’allumer? Sur les grandes
routes du Baltoro, guère de passants à interpeller : « Du feu,
s. v. p. » J’ai bien une réserve quelque part, dans un petit
portefeuille ; mais le phosphore est usé. Je sors alors une
forte loupe du fond de mon sac, et cherche à diriger le foyer
sur le soufre : un gros nuage passe devant le soleil. Enfin, en
fouillant dans une petite pharmacie, je retrouve une boîte :
nous sommes sauvés ! Ah ! bien oui, elle est vide... mais le
frottoir est encore relativement bon ; vite on recueille les
allumettes jetées au loin, et dans le nombre on finit par en
trouver encore une moins abîmée que les autres. Pas de sottises,
maintenant !
Nous nous abritons
derrière un
gros bloc, faisons
paravent de tout
ce qui peut servir à
cet usage, et attention
! Rien, l’allumette
était mouillée.
Nous allons
reprendre notre marche ^
avec une envie rentrée,
quand mon Soorfras retrouve
encore . sur une (I43.) TOur du Mustagh.
pierre une dernière allumette,
qui avait échappé aux recherches ; elle est à peu près
en bon état ; répétition de la manoeuvre précédente, mais
cette fois nos efforts sont couronnés de succès. La construction
du cairn et la cigarette nous ont pris plus d’une
demi-heure ! Heureusement que nous avons du temps.
La route n’est pas meilleure pour tout cela. La jonction
des deux glaciers est si tourmentée, que nous nous hâtons
d’en sortir pour gagner le bord du Baltoro, où la marche est
un peu plus facile.
C’est d’ici que la Tour de Mustagh se présente dans toute
sa magnificence. Sorte de Cervin double, dont les sommets
sont séparés par une selle — qui rappelle étonnamment celle
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