bientôt un radeau feutré, très serré, qu’on recouvre de
terre et sur lequel prospèrent à merveille melons, concombres
et tomates.
Les environs de Srinagar, comme en général le Cachemire,
abondent en arbres fruitiers de toutes espèces, tant importés
d Europe qu’indigènes, et en vigne d’origine française, formant
pour le gouvernement, qui les cultive en grand, une
source de revenus importants. A la tête de cette exploitation
est un Français, M. Peychaud, pour lequel j’avais une recommandation.
L’excellent accueil qu’il nous fit et ses bons
conseils, dictés par une connaissance approfondie du pays
qu’il habite depuis plus de vingt ans, nous furent très précieux.
Il a été en relations avec un Neuchâtelois, Armand
Favre, du Locle, lequel, en qualité d’ingénieur, a travaillé
au tracé d’une future voie ferrée du Cachemire ; à l’heure
qu il est le chemin de fer n’existe pas encore, et les nouveaux
ingénieurs qui ont succédé à Favre se bornent à copier ses
plans, sans pour cela faire avancer l’ouvrage.
Les voyageurs qui viennent séjourner dans le Cachemire
et qui, dans les mois chauds de l’été, trouvent la température
trop élevée à Srinagar, ont la ressource de gagner les
forêts qui montent de la plaine jusqu’à 3000 mètres. Les plateaux
de Gulmarg ou de Tragbal offrent des sites enchanteurs
ayant beaucoup d’analogie avec la Forêt-Noire, et sont
le rendez-vous d’une colonie étrangère considérable.
Il y a deux ans à peine que Srinagar possède un hôtel.
Jusque là le Maharajah, seul propriétaire foncier de tout le
territoire du Cachemire, s’était toujours refusé à en céder la
moindre parcelle à des étrangers, en tant qu’indiyidus isolés.
Il n’avait accordé d’autorisation spéciale de bâtir, à des
Européens, que pour des constructions strictement affectées
aux services civils : bureaux de poste, télégraphe, habitation
du résident; les hôpitaux et les missions n’obtenaient
cette autorisation que si la demande était formulée par l'ensemble
de la société, et non par un seul représentant.
Actuellement encore, cette restriction subsiste entièrement
et, pour pouvoir bâtir un hôtel, le propriétaire a dû
former une société. L’hôtel est naturellement trop petit dans
la bonne saison; mais on a la ressource d’amener sa tente et
de camper sur les places spécialement affectées à cet usage
aux abords de la ville et du fleuve, ou de loger dans un
« house-boat », grand bateau plat aménagé en cabines plus
ou moins luxueuses qu’on loue à la semaine ou au mois. Ce
mode de faire est très usité à l’heure qu’il est.
En somme, on trouve dans le Cachemire tout ce qu’on
peut désirer pour y passer la vie la plus agréable, à la manière
anglaise. Tous les sports y sont favorisés par la nature
même du pays : l’équitation et tous les jeux qui en dérivent
(polo, chasse, etc.), la pêche, la marche en plaine et en
montagne (peu pratiquée d’ailleurs), le canotage, etc., etc.
D’autre part, le botaniste y pourra faire les plus belles
moissons du monde ; le géologue y a encore de nombreux
problèmes à résoudre, et l’archéologue des ruines à étudier;
enfin l’épicurien s’y plongera sans obstacle ni arrière-pensée
dans un dolce far niente, à bord d’un house-boat ou sous les
immenses et magnifiques platanes du Ghenar Bagh.
Mais, pour qui veut travailler aussi, le champ est vaste et
l’avenir assuré. Le commerce et l’industrie y ont encore de
beaux jours en perspective, et le Jehlum roule dans ses
gorges de quoi tirer des millions de chevaux de force.
* * *
Trois semaines se passent en préparatifs, consistant surtout
à répartir nos provisions dans des « kiltas » (sortes de
paniers d’osier recouverts de cuir, ronds ou rectangulaires),
et à les compléter, pour certains articles moins chers ici
qu’en Europe, par des achats qu’il faut débattre et
marchander avec les fournisseurs indigènes, toujours
enclins, en bons Orientaux, à vous exploiter et à surfaire
leurs prix.