point de se transformer en véritable ouragan. Elle entraîne
dans sa course une grande quantité de neige, qui s’infiltre
de nouveau partout d’une manière bien malencontreuse : la
tente de la cuisine entre autres, qui n’a pas été refermée soigneusement,
se remplit tellement que tout y disparaît bientôt
sous des monceaux de neige ; nos hommes en ont pour
plus d’une heure à la remettre en état et à en dégager les
alentours.
Après un excellent souper, préparé en vue des efforts de
demain, nous allons de bonne heure chercher le sommeil.
Mais il est long à venir : est-ce l'émotion qui précède toujours
une grande ascension? est-ce la bise qui, loin de se
calmer à l’approche de la nuit, augmente encore de violence,
faisant flotter les parois de la tente comme une voile désemparée
?
Ne pouvant dormir, nous commençons une partie
d’échecs qui dure une bonne partie de la nuit, jusqu’au moment
où, n’en pouvant plus, nous finissons par tomber de
sommeil, malgré la tempête !
Le réveil a été fixé à 5 heures ; je me lève le premier.
Mais la bise n’a pas diminué d’intensité et la température a
été cette nuit de 12 degrés au-dessous de zéro. Que faire?
Ne courons-nous pas, à nous mettre en route, le double danger
de nous faire balayer par cette bise enragée, ou de geler
sur place, pour peu que les difficultés nous forcent à ralentir
ou à interrompre la marche? D’autre part, le temps a l’air
de s’être remis au beau, et cette bise peut bien, à tout
prendre, être le début d’une période de jours ensoleillés
pendant lesquels la température ne peut manquer de se
relever.
Crowley opine pour retarder le départ de quelques heures
et attendre que la bise ait un peu faibli ; Pfannl et moi
nous rangeons à son avis. Pour ne pas nous rendormir, nous
chaussons les skys et allons faire une petite reconnaissance
du côté d’une brèche que l’on aperçoit dans la direction du
nord-est, au pied du Staircase Pealc, et qui s’ouvre peut-être
sur une vallée glaciaire moins abrupte que les pentes du
Chogori qui nous dominent. Nous partons après déjeuner,
ayant décidé définitivement de ne tenter l’ascension par les
rochers jaunes que si, au delà de la brèche, les conditions
d’ascension ne sont pas plus favorables.
Au bout d’une heure et demie de marche sur un glacier
passablement crevassé au début, mais recouvert d’une neige
favorable aux skys, Pfannl et Wessely, qui ont pris les devants,
disparaissent à nos yeux; Crowley et moi, supposant
un accident, prenons les dispositions en conséquence :
Crowley redescendra chercher du secours, tandis que je
continuerai à suivre les traces des skys jusqu’à l’endroit où
j’ai cru voir disparaître nos compagnons. Au bout d’un
quart d’heure, je m’aperçois de la cause de cette disparition ;
elle tient à un repli du glacier, que l’uniformité de la neige
et la distance cachaient à nos yeux; en effet, je vois peu
après Pfannl reparaître et revenir de mon côté, tandis que
Wessely continue dans la direction du col tliibétain.
Nous regagnons le camp poussés gentiment par la bise,
en faisant de belles glissades et en passant les crevasses en
carrière, grâce à la longueur des skys qui offrent moins de
chance d’effondrer les ponts de neige encore récents ; seule,
la partie crevassée du plateau qui précède immédiatement
le camp est un peu plus pénible, grâce à une inclinaison
presque nulle et aux nombreux détours nécessaires.
Cette brève reconnaissance ayant donné d’assez bons résultats,
nous la complétons le lendemain en pénétrant dans
la brèche, les Autrichiens et moi ; Wessely, qui tient à atteindre
le col thibétain, se sépare de nous et ne rentre que
tard dans la soirée. Comme le col débouche sur une vallée
glaciaire assez semblable à la nôtre, mais d’inclinaison plus
prononcée, on décide de renoncer pour le moment à tenter
l’ascension par la face ét l’arête qui nous dominent, et d’aller
établir un XI0 camp dans un endroit plus élevé, mais en
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