de nos indigènes — il trône fièrement au fond du glacier de
Younghusband, comme conscient de sa supériorité. De fait,
il n’est pas de sommet sur cette rive nord du Baltoro qui
puisse lui être comparé, tant en élévation qu’en hardiesse ;
deux parois à pic, notamment, descendent d’un seul trait
jusqu’au fond du glacier, et lui donnent un aspect farouche;
une masse épaisse de brouillards forme en arrière un
fond sombre qui rehausse encore sa sévérité, tandis qu’à
(144.) Confluent des glaciers de Younghusband et de Baltoro. Tour du Mustagh.
ses pieds se déroulent en longs serpents les moraines
énormes que ses flancs alimentent constamment.
C’est à l’est de cette tour que se trouve le fameux passage
du Mustagh, par lequel, au milieu du siècle passé, les tribus
pillardes de Thibétains ont dû faire invasion, pour être anéanties
sous les murs de la forteresse d’Askoley ; au dire des
indigènes, il est devenu impraticable par suite de l’écroulement
d’un pan de montagne qui n’a laissé qu’une paroi infranchissable.
Lorsqu’on les compare aux Valdotains, qui venaient à
travers le col de Fenêtre faire des rafles dans la vallée de
Bagnes, et qui passaient pour accomplir un tour de force
inouï, on est stupéfait de voir ces peuplades primitives affronter
des traversées de cols de glaciers entre 5 et 6000
mètres de haut, et huit, dix jours de marche sur la glace,
pour le maigre profit qu’une telle entreprise pouvait rapporter
: à part quelques fourrures et quelques troupeaux de
moutons ou de chèvres, que pouvaient-ils bien trouver?
Encore une heure et nous arrivons à Biange, après avoir
rencontré une caravane
de naukhar-
coolies qui redescendent
avec les
sacs de farine
vides. Bs annoncent
que la provision
est bientôt
épuisée ; aussi
Eckenstein a fort
à faire pour nous
ravitailler. D’autre
part, Crowley nous
(i45.) Vue entre Gore èt Biange : Mitre Peak, etc.
fait savoir qu’il est arrivé sur le glacier de Godwin-Austen,
qu’il voit le Chogori depuis ce matin, mais qu’il est obligé de
camper sur la glace ; il veut toutefois pousser encore plus
avant, et sé rapprocher du pied même de notre géant ; il
espère trouver un emplacement propice pour y rassembler
tous nos bagages et toutes nos provisions.
Pfannl et Wessély disent en outre que la marche de demain
est très courte, deux heures au plus, de sorte que nous
commençons à entrevoir des jours meilleurs.
Knowles arrive assez fatigué, un peu après les coolies, et
se couche aussitôt; il a fait preuve d’une grande endurance,