milliers de moutons tondent au ras du sol une herbe encore
bien courte et bien rabougrie.
Nous allons passer notre dernière nuit avant Srinagar
dans le dak-bungalow de Chaghotti. Une soirée délicieuse
succède à une journée laborieuse. Les prairies des hauteurs,
allumées par des bergers, éclairent la vallée d’une lueur
sinistre durant une bonne partie de la nuit; une cascade
murmure à côté du chalet; dans les champs, les Cachemi-
riens chantent leurs mélopées traînantes et plaintives ; et
1 on a peine, malgré la fatigue, à s’arracher au charme de
cette soirée. Il le faut pourtant, car demain nous avons encore
75 milles à faire, et nous devons partir tôt.
Nous nous mettons en route, en effet, peu après 7 heures,
passons à Uri (à
133 milles de Ra-
wal-Pindi), village
anciennement fortifié
dont les restes
démantelés attestent
encore l’importance.
Une pagode
en ruines attire
ci et là l’attention,
tandis que,
de l’autre côté de
la rivière, de jolies
(17.) Vallée du Jehlum à Uri. m O S q u e e S aU X tO ltS
multicolores jettent
une note de gaieté sur le sol encore un peu nu.
Nous rattrapons, entre Uri et Rampur, la file des 17
ekkas que nos camarades continuent de surveiller; ils s’arrêteront
encore une nuit à Baramula, pour arriver à Srinagar
dans la soirée du lendemain, tandis qu’avec Wessely, nous
brûlons l’étape pour gagner encore le même jour la capitale
du Cachemire.
L’impression que nous a laissée cette vallée du Jehlum
est à peu près celle d’une grande vallée de Bagnes en Valais,
suivie d’un long val d’Hérens, et comme vu au travers d’une
loupe grossissant deux ou trois fois. Cette dernière impression
persistera au reste pendant tout notre séjour dans les
montagnes; elle ira même en grandissant à mesure que nous
nous élèverons davantage; mais n’anticipons pas.
C’est au delà de Baramula, en remontant la vallée du
Jehlum, que commence le célèbre plateau dont Srinagar
occupe à peu près le centre. D’une longueur de plus de 130
kilomètres, sur une largeur moyenne de 30 à 40, entourée
de toutes parts de hautes montagnes dont la crête atteint et
dépasse souvent 5000 mètres, bordée au sud par les ramifications
occidentales de l’Himalaya, tandis qu’au nord le
Karakorum abaisse ses nombreux gradins dominés par le
Nanga-Parbat (8116 m.), YHappy Valley, la « vallée privilégiée
» du Cachemire offre un contraste saisissant avec les
sauvages beautés des gorges du Jehlum.
33 milles séparent Baramula de Srinagar. Une tonga les
franchit en 4 heures environ, sur une route bordée de peupliers
très rapprochés qui forment de magnifiques allées
bien ombragées. De chaque côté les champs de riz et les
pâturages alternent avec les jardins à culture intensive. Ici
un laboureur gratte le sol de sa charrue de bois, tirée par de
petits buffles ou des zébus qu’il excite à coups de poing ou
en leur tordant la queue; là des femmes ou des jeunes filles,
occupées aux travaux des jardins ou des rizières, se voilent
machinalement le visage à notre passage, mais assez lentement
pour nous permettre d’apercevoir leurs belles figures
typiques de la race indo-aryenne, aux traits souvent d’une
grande pureté, illuminées d’yeux malicieux ou profonds, toujours
du plus beau noir.
Au travers des villages, des groupes nonchalants, obstruant
les rues, se déplacent à peine aux sons aigus et faux
du clairon de notre automédon. Les relais se succèdent