contraire, le torrent de boue existe à l’état permanent; c’est
un .peu comme le Stromboli comparé à la Montagne-Pelée.
La plupart des montagnes au pied desquelles nous passons
sont encore recouvertes d’énormes dépôts d’alluvions
qu’ont laissés les glaciers en se retirant. Cette boue glaciaire
desséchée, mais toujours prête à s’imbiber comme une
éponge, arrête une partie de l’eau qui descend des régions
supérieures. Qu’une partie de cette boue devienne trop li-
(90.) Second torrent de boue.
quide, elle s’effondre comme un pain de sucre dont la base
entrerait en contact avec de l’eau, ou comme une pyramide
d’Euseigne qu’atteindrait, subitement la rivière ; et ici, ces
pyramides peuvent se compter par milliers dans un kilomètre
carré. En s’effondrant, la masse pâteuse obstrue momentanément
le cours d’eau, et alors se produisent les grosses
« bourrées », dont les vagues de Conway ne sont que les
épisodes.
Au moment de notre passage, la vague venait d’avoir
lieu, de sorte que notre troupe put descendre au fond du
ravin par de bonnes marches taillées peu avant notre arrivée,
puis traverser le lit du torrent en sautant de pierre en
pierre sans trop de faux pas, et remonter de l’autre côté également
par un escalier improvisé et peu consistant ; cette
manoeuvre s’exécuta avec précision et rapidité, de sorte que,
quand vint une seconde vague, elle passa sans causer d’accident.
Une demi-heure plus loin se présenta un second torrent
de boue, mais de nature un peu différente. Le ravin était
remplacé par un cône de déjection évasé et très aplati, et la
boue qui le formait était sèche dans toutes ses parties sauf
au milieu, où une zone de 40 à 50 mètres encore semi-liquide
présentait un danger peut-être plus grand que le précédent;
cette boue ne s’écoulait que très lentement, de sorte qu’en
y plaçant de grosses pierres, qui ne s’enfoncaient pas immédiatement,
on avait le temps de sauter de l’une à l’autre ;
mais malheur aux faux pas : on risquait fort de disparaître
sans retour.
Nos Baltis, qui n’avaient pas affaire pour la première fois
à pareil obstacle, s’en tirèrent à leur honneur; quelques-uns,
parmi les plus dévoués, se hasardèrent à lancer les premières
pierres et à les éprouver eux-mêmes. A mesure qu’ils avançaient,
ils jetaient de nouvelles pierres jusqu’à ce qu’un premier
réussît à passer; alors ce fut une émulation sans pareille
: chacun voulait apporter sa pierre, élargir le passage
pour la sécurité des suivants; au milieu cependant, il fallut
lancer une planche, les pierres s’enfonçant presque instantanément
dans la vase; à plusieurs reprises la planche aussi
menaça de disparaître; un homme de bonne volonté la rattrapait
alors au péril de sa vie; mais là encore heureusement
aucun accident ne se produisit, de sorte que tout un
outillage apporté d’Europe pour le passage des torrents de
boue resta au fond de sa kilta, à la grande satisfaction de
tout le monde.