ils font dans la glace un petit creux, qu’ils tapissent de plaques
de fer blanc provenant de boîtes vides éventrées. Lorsqu’un
bon rayon de soleil chauffe ces plaques, la glace
fond à l’entour ; comme elle se charge assez rapidement de
rouille, cela suffit pour l’empêcher de geler lorsque la température
ne s’abaisse pas au-dessous de —5° ; de sorte que
souvent encore nous trouvons le matin un peu d’eau au fond
de ces petits lacs creusés en grand nombre autour des tentes.
Toutefois, lorsque, avant le coucher du soleil, le thermomètre
indique —4° ou ■—5°, nous enfermons dans la cuisine
Müller toute l’eau produite, évitant ainsi l’ennui de faire
fondre de la neige et de la glace.
Malheureusement, les lacs ne se remplissent pas toujours
dans les journées brumeuses, et force nous est souvent de
geler dans la tente de cuisine avant qu’un peu d’eau chaude
ait remplacé dans la casserole les blocs de glace ou de neige
durcie.
Jusqu’à l’arrivée d’Eckenstein, sans nous être consultés,
chacun prépare les repas à sa guise, car nos cuisiniers
sont restés à Rdokass ; et je ne sais d’ailleurs s’ils auraient
consenti à manipuler la variété infinie de nos conserves,
parmi lesquelles se trouvaient certainement bien des boîtes
d’aliments souillés ou interdits : porc, veau, fromage, alcool,
n’auraient pu nous être servis directement par eux, même
s’ils avaient su apprêter ces produits variés. D’autre part,
nous trouvons en cuisinant nous-mêmes un dérivatif, une
distraction aux heures d’ennui que les parties d’échecs ou
la lecture n’arrivent pas à nous éviter complètement.
Malheureusement, il n’est pas facile de contenter tout le
monde et soi-même ; pour des représentants de trois nationalités
différentes, on n’arrive pâs toujours à composer un
menu où tous les goûts soient également satisfaits. Il est
vrai qu’avec un peu d’indulgence, et en consultant les goûts
de chacun, les repas finissent par recevoir l’approbation générale,
et les mécontents ont toujours la ressource d’apprêter
à leur guise leurs aliments préférés. Les provisions ont
d’ailleurs été choisies avec un soin extrême, chacun ayant
été consulté sur ses préférences individuelles. (Voir l'appendice
: « Renseignements 'pratiques »).
*
Le 23 juin arrive une escouade de porteurs avec du pain
pour nos Baltis et des nouvelles d’Eckenstein. Après avoir
transporté le camp de Paiyu à Rdokass, il a organisé le réapprovisionnement
en farine, dès Askoley ; elle sera transformée
en « tschupatis'» par nos cuisiniers, et, chaque
semaine environ, un convoi suffisant apportera, outre le
pain, le courrier d’Europe s’il est arrivé, ainsi qu’un peu
de viande fraîche et tous les oeufs qu’on peut acheter à
Askoley et aux environs. Eckenstein nous fait en outre
savoir qu’il se dispose à nous rejoindre, espérant quitter
Rdokass le 23 ; en doublant les étapes il arriverait donc
le 27 ou le 28, et c’est à partir de ce moment-là que nous
pouvons entrevoir la possibilité de commencer l’attaque du
Chogori.
Cette bonne nouvelle met tout le monde en joie. Nos
Baltis aussi sont tout heureux de revoir quelques camarades
qui leur apportent des nouvelles d’en-bas. Pour la première
fois on entend des chants sortir des différentes tentes ; premiers
accords, plus ou moins harmonieux, qui aient troublé
le silence des vastes solitudes qui nous entourent ; chacun
des Européens retrouve quelque vieille mélodie, souvenir
du pays, du temps d’études ou de parties de cabanes ; les
Baltis eux-mêmes, gagnés par la contagion, entonnent à la
suite quelques-unesrde leurs mélopées traînantes et sans
rythme apparent. La fête finit par une distribution de thé et
de sel aux porteurs, à laquelle on ajoute du tabac et une
pipe, ce qui paraît leur procurer un très grand plaisir.
Ces hommes passeront la nuit dans la seule tente