indigènes ne s’adressent jamais à l’un de mes camarades,
tant mon signalement est fait exactement par les coolies
qui nous ont précédés. N’ayant pas sur moi, naturellement,
le nécessaire pour les opérer séance tenante, je leur donne
rendez-vous à l’étape ; mais ils ne se dérangent pas pour si
peu, et, le plus souvent, seuls les habitants du village où se
fait la halte bénéficient du passage d’un médecin, pourtant
fort rare dans la contrée.
A Karmang encore, nous faillîmes avoir la répétition de
la scène d’Olthingthang ; le lambadar chargé du recrutement
des coolies tenta de faire du chantage et de nous demander
un prix supérieur à celui usité en pareil cas ; il en fut pour
S a les
ses frais ; car Ecken-
stein, peu disposé à
discuter avec des individus
de mauvaise
foi, offritaux porteurs
qui allaient nous quitter,
de faire encore
l’étape suivante. Ils
acceptèrent avec un
empressement tel
que nous fumes bientôt
bousculés par les
deux escouades : les
(72.) Dak-bungalow de Tolti.
uns, ravis d’une si bonne aubaine, les autres, furieux de voir
échapper cette bonne occasion, et essayant de se précipiter
à leur tour sur nos kiltas ! Mais, en voyant notre attitude et
notre ferme intention de ne pas revenir sur notre décision,
ceux-ci comprirent qu’ils ne gagneraient rien à insister, et
s’en retournèrent tout penauds, non sans avoir auparavant
manifesté leur mécontement à l’égard du lambadar, cause
de leur mésaventure. Nos porteurs demandèrent seulement
un petit acompte sur leur solde, pour acheter des vivres
qu’ils n’avaient pas songé à emporter ; on leur donna
10 roupies (17 fr.), avec lesquelles ces 150 individus trouvèrent
à manger pour une semaine au moins.
Après la réception du rajah, nous assistons à son retour
dans ses foyers, et notamment au passage du pont de
cordes par son fils, jeune homme de 15 ou 16 ans, qui n’a
pas encore réussi à vaincre l’émotion causée par une telle
entreprise. Nous avons tout lieu de croire que ce n’est pas
un divertissement auquel il se livre fréquemment, à en juger
pai 1 apparat c(ont il s’entoure ; il commence par grimper sur
le dos d’un de ses serviteurs, solide gaillard, exempt de vertige
et investi apparemment de la haute fonction de transborder
Sa Majesté; on l’emmaillotte jusqu’au cou dans une
grande couverture et. ainsi greffé sur son porteur, il s’engage
sur le pont Oscillant; toute une petite suite le précède et
1 accompagnej en chantant une mélopée traînante destinée
probablement à lui donner un peu de courage, à moins que
ce ne soit une; requête adressée à Mahomet au sujetde S. M.
Pour finir pette journée bien remplie, nous eûmes encore
un orage, court, mais précédé d’un vent extrêmement violent;
des nuages de sable recouvrirent en un clin d’oeil le
camp et les alentours, pénétrant dans les interstices des kiltas
et dans nos tentes, saupoudrant nos aliments et nos boissons
d’une couche des moins appétissantes.
L étape du,lendemain fut assez agréable ; après avoir traversé
à deux reprises de magnifiques gorges, où le sentier
court en corniche, nous vîmes venir à notre rencontre, à plus
d’une lieue dp village, le rajah de Tolti et toute sa suite,
composée entre autres d’un de ses frères, de ses fils et d’un
nombreux personnel. Vêtus de blanc, avec turbans de pash-
mina éclatants, ils avaient tout à fait grand air au milieu de
cette sauvage nature ; après les salamalecs d’usage, ils reprirent
au galop la direction de Tolti ; Eckenstein et Knowles,
qui,avaient des montures, se mirent à les suivre à cette allure
endiablée ; franchissant les nombreux obstacles dont la route
est parsemée, au risque de se rompre le cou, ils arrivèrent à