gros que les autres, plusieurs n’ont que juste le temps de
sauter de côté pour l’éviter ; mais, en bons musulmans, ils
reprennent leurs places comme auparavant sans avoir cure
du danger qu’ils courent.
Autour du camp croît une sorte de liliacée dont les indigènes
font bouillir les tiges. Nous goûtons à ce mets à titre
de curiosité ; mais, bien que privés de légumes frais depuis
quelques jours, nous ne pouvons nous résoudre à le voir
entrer dans notre alimentation régulière.; par égard pour
notre propre odorat, nous renonçons d’emblée à cette nourriture
trop alliacée, et laissons à nos Baltis le plaisir de se
parfumer violemment l’haleine !
Dans la soirée, le ciel se balaye complètement, laissant à
découvert les plus belles montagnes qu’il nous ait été donné
de voir jusqu’à présent. Au milieu d’elles, et les dépassant
de près de 1000 mètres, trône l’énorme pyramide du Masher-
brum, dont le sommet est double : à l’est, un cône de neige
étincelant; à l’ouest, le sommet le plus élevé, découvert,
s’abaisse par une arête de 40 à 45° sur le glacier de Mundu,
par où il est peut-être accessible.
Tout autour de ce géant rayonnent une série d’arêtes,
dont une en particulier vient s’enfoncer d’une façon curieuse
sous le Baltoro : elle semble y ramper, ne laissant dépasser
que les hauts sommets, à la façon d’un énorme navire submergé
sur un bas-fond qui ne laisserait apercevoir.que ses
mâts et sa cheminée.
Notre tente, posée sur le sable et fixée par ses cordelettes
au moyen de grosses pierres, est tantôt une étuve, quand
paraît un rayon de soleil, tantôt une glacière., quand passe
un nuage; pour échapper à ces petits ennuis, je vais faire un
peu de varappe dans les rochers du voisinage, et je m’élève
d’une centaine de mètres au-dessus du niveau du glacier.
C’est de là que je parviens enfin à démêler l’écheveau embrouillé
de ses moraines centrales et à voir surgir tout à
coup l’ordre qui préside à ce grand déploiement de force
inerte, à ce vaste chaos plus apparent que réel.
Encore quelque cent mètres, et le colosse apparaît dans
son imposante étendue : masse plus formidable que tout ce
qu’on peut rêver, progressant lentement, mais d’un mouvement
combien rapide comparé aux siècles de son existence !
D’après notre estimation, absolument empirique d’ailleurs,
il faut trois à quatre cents ans au centre du glacier pour
descendre de la place de
la Concordia à Paiyu,
soit 60 kilomètres.
De ce belvédère, la
vue s’étend magnifique
sur toute la rive opposée
du Baltoro, et donne un
(tZji.) Le Baltoro et les montagnes
au-dessus des camps IV, V et VI.
aperçu des splendeurs
qui attendent, depuis
des siècles, ceux qui tôt
ou tard se lanceront à la
conquête de tout ce qui ^ } Entre Rhobutge et Rdokass.
nous environne.
Car, à part Conway qui entreprit quelques reconnaissances
dans ces parages, et les ingénieurs du service topographique
qui sont restés le plus souvent dans le fond des
vallées, aucun étranger n’a encore foulé le moindre sommet
de cette vaste région inexplorée. Tout est encore à « faire »,
et les amateurs de variantes inédites de nos Alpes auraient
beau jeu ici ; pas de littérature sportive à compulser, pas