Le seul moyen d’activer la convalescence était de gagner
des régions inférieures, en profitant de l’amélioration qui
se manifestait. Le 21 juillet, on installe Pfannl aussi confortablement
que possible sur un traîneau confectionné au
moyen d’une paire de skys et d’une kilta coupée, et l’on
quitte le camp XI à sept heures et quart.
Bien que le vent d’ouest souffle toujours, le temps est
assez beau, et, comme la neige devient meilleure à mesure
qu’on descend, on avance rapidement ; le bel et gigantesque
Abdullah, qui nous a apporté le courrier, s’est attelé seul
devant le traineau et fait toute la besogne ; il se distingue
spécialement au passage des crevasses, qu’il enjambe comme
de simples fossés et qu’il fait traverser au traîneau comme
en se jouant.
En passant au camp X, où sont encore bon nombre de
kiltas de provisions, nous prenons quelques boîtes de conserves
pour le voyage jusqu’à Rdokass, où une nourriture
plus substantielle remplacera définitivement notre régime
abhorré ; puis nous gagnons rapidement le bord du plateau
glaciaire du camp X, pour commencer la descente sur
le camp IX, en passant dans un dédale de crevasses que
nous n’avions pas soupçonné en montant. Chose curieuse,
malgré le temps défavorable des dernières semaines et la
quantité de neige tombée aux deux camps supérieurs, au-
dessous de 5700 mètres, cette dernière n’a pu prendre
pied, et l’ancienne a fondu : la glace est à nu presque partout
. A un moment donné, à la suite d’une fausse manoeuvre,
le traîneau faillit verser dans une crevasse, au grand effroi
de Pfannl, que ce mode de locomotion commençait à énerver.
Il profita de cet incident pour s’échapper de sa prison
glissante et tenter de faire quelques pas ; il n’y réussit pas
trop mal, et c’est maintenant appuyé au bras de Wessely ou
au mien qu’il gagne le camp IX. Ses forces cependant le
trahissent encore de temps à autre, d’autant plus que, n’étant
pas chaussé pour le glacier, mais seulement de plusieurs
gros bas de laine, il marche avec moins de sûreté que
nous.
Les coolies, qui décidément n’ont pas un faible prononcé
pour le traîneau, habitués qu’ils sont à porter plus qu’à traîner
les charges, si lourdes soient-elles, ont vite fait de se distribuer
les colis; nous abandonnons les skys, qu’ils plantent
dans la glace pour servir de poteau indicateur visible d’assez
loin.
A midi, nous arrivons au camp IX, que nous avons peine
à reconnaître tant il
est changé. A notre
premier passage, il
était encore blanc de
neige ; aujourd’hui
tout est noir, aussi
bien la glace couverte
de moraines
et de débris de pro-
togine, que les ébou-
lis qui l’avoisinent ;
on trouve par-ci par-
là quelques fleurs,
que je ^ J recueille et (i83.) Vue au SS. 0„ . Kdu *Camp IX.
que je presse aussi
soigneusement qu’on peut le faire quand on n’a à sa disposition
ni cartable, ni papier buvard. Grâce à l’extrême
siccité de l’air, elles n’en sécheront pas moins rapidement,
et se conserveront très bien, malgré les conditions défectueuses
dans lesquelles elles feront le voyage.
Pfannl va décidément mieux ; les deux dernières heures
du trajet à pied l’ont un peu éprouvé ; mais quelques minutes
de repos le réconfortent grandement, et c’est avec un
appétit que nous ne lui connaissions plus, qu’il goûte enfin
aux aliments.