des semaines les températures boréales qui nous attendent
plus haut.
Notre tente est posée directement sur la neige, entre
deux jolies petites crevasses, dont les ponts ont été traversés
par nombre de pieds. Mais nous ne poussons pas
l’erreur aussi loin que de Saussure qui, à sa première ascension
du Mont-Blanc, avait placé tout son camp sur un
vaste pont de neige qu’au retour il trouva effondré !
Cette première expérience d’une nuit passée à même la
glace ne fut pas autrement désagréable; nous sommes même
étonnés du peu de changement qu'apporte cette modification
si importante dans notre manière de vivre et spécialement
de dormir. C’est à peine si, en déroulant nos valises
sur le fond inégal et bosselé de la tente, nous nous rendons
compte de la différence entre le sable ou le gazon et la neige ;
les matelas de liège de nos lits épousent exactement la
forme du corps, ou celle du sol, et l’on repose mieux encore
que sur la terre durcie ; toutefois on ne peut se défendre
d’une curieuse impression, produite par la fraîcheur
qui traverse le fond, et à laquelle nous nous faisons d’ailleurs
rapidement.
Seule l’habitude d’enlever ses souliers chargés de neige
en entrant dans la tente, pour maintenir l’intérieur aussi sec
que possible, ne s’acquiert pas du premier coup, et nous
oblige à nous morigéner l’un l’autre pendant un ou deux
jours, pour n’avoir plus, comme au départ de cette étape,
une certaine quantité de neige gelée qu’il faut emporter
jusqu’à l’étape suivante pour nous en débarrasser au soleil.
Nous avions espéré prendre une photographie du Cho-
gori au clair de lune, mais nous eûmes beau nous relever
plusieurs fois pendant la nuit : notre géant était toujours en
partie masqué par le brouillard. Nous ne regrettâmes pas
cependant de nous être dérangés ; si, durant le jour, nous
étions restés abasourdis par la majesté du spectacle, devant
le grandiose de cette apparition, comment décrire l’impresble
sion étrange que peut enfanter la sublime beauté d’une pareille
montagne, entrevue dans la pénombre indécise et changeante
d’une nuit himalayenne ! La lune tantôt se voile, tantôt
jette sur ce tableau une lumière fantastique ; il nous semble
vivre dans un monde irréel et, une fois de plus, nous nous
surprenons à évoquer cette image des pygmées à l’assaut de
géants. Nous n’avons pas dormi à notre aise : le froid et nos
allées et venues n’ont pas contribué à rendre très conforta
l’intérieur de la tente ; mais nous ne voudrions pas, pour
bien des nuits meilleures, n’avoir pas vécu cette nuit inoubliable
1
N’ayant pu fixer sur la plaque sensible ces impressions,
que ne pourra d’ailleurs jamais évoquer le meilleur photographe,
je dus me contenter d’emporter un souvenir du Cho-
gori découvert du haut en bas et éclairé des premiers feux
du jour.
Après la distribution de lunettes noires à ceux de nos