force dans la plaine, soulevant d’énormes tourbillons qui
sont emportés au loin ; ce sable reste un certain temps en
suspension, obscurcissant le ciel et donnant l’impression
qu’un orage formidable se prépare. On est cependant frappé
d’une chose : à travers la couche opaque, se voient encore
les sommets des montagnes resplendissant dans un ciel
bleu; et l’on finit par se rendre compte que le nuage est
bien moins haut qu’il ne parait de prime abord : en effet, il
ne monte pas à plus de 3 ou 400 mètres. Vienne à tomber
une bonne averse, elle entraîne ces poussières, et l’atmosphère
purifiée reprend sa transparence habituelle.
Ce phénomène curieux n’est pas particulier à la contrée,
puisque Sven-Hedin l ’a décrit aussi pour les Pamir. Partout
il doit impressionner grandement, tout en donnant l’explication
des poussières cosmiques observées dans d’autres
régions du monde : il suffit en effet que ce sable, au lieu d’être
précipité par un orage, soit emporté par un courant violent
dans les régions supérieures de l’atmosphère ; il ira alors, à
de très grandes distances, produire ces colorations étranges
qu’on attribue souvent à des poussières volcaniques.
Le dimanche, visite des rajahs qui, les uns après les
autres, tiennent à se faire ausculter et tâter le pouls, histoire
d’être au moins bien sûrs qu’ils sont en parfaite santé.
Après quoi, repos complet jusque dans la soirée. Une fois
tout le monde couché, je me mets en devoir de terminer une
longue lettre pour l’Europe, et de répondre aux nombreuses
correspondances arrivées à Skardu quelques jours avant
nous.
Sur toute la contrée plane un silence solennel, interrompu
seulement de temps à autre par l’aboiement d’un
chien ; un clair de lune magnifique promet une belle journée
pour demain et engage à la rêverie ; je songe aux chers
aimés dont je vais m'éloigner davantage encore, et au bonheur
de les retrouver bientôt, pour leur faire part de toutes
les choses que nous avons vues jusqu’à présent, et de celles,
plus belles encore, qui nous attendent.
20 mai. — Dès 4 h. du matin, les coolies commencent
à arriver, et à 41/2 h. leurs cris assourdissants nous empêchent
de nous rendormir. Il fait un temps splendide, les
quelques averses des jours précédents ont purifié l’atmosphère
; j ’en profite pour aller prendre encore quelques photographies,
pendant que Crowley veille au départ des
coolies, auxquels il a fait la distribution des billets.
A 7 heures le dak-bungalow est évacué. Il reste encore à
régler quelques notes de fournisseurs, entr’autres celles
d’un indigène avisé, qui détient un des magasins les mieux
achalandés de Skardu, et y vend, bien que les Européens
ne foisonnent pas
dans la région, une
foule d’articles
qu’il ne débite certainement
pas aux
naturels : sucre, cigares
et cigarettes,
conserves de toute
nature, et jusqu’à
du lait condensé.
C’est surtout du
sucre que nous lui
avons acheté ; car,
bien que nous en
eussions pris à Sri-
nagar, la provision était presque complètement épuisée.
Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en reparler sous peu.
Au dernier moment, nous achetons encore, à un prix
dérisoire, 15 kg. environ de tabac indigène pour les coolies ;
quant au nôtre, il représente aussi à lui seul plus d’une
charge, de sorte que le tabac pesait près du double de la