en taillant la plus grande partie des marches : ainsi, nous
sommes quittes.
J’essaie en vain de le décider ; il s’entête à ne pas vouloir
poursuivre plus loin cette tentative. Je n’ose continuer seul
à m’élever sur cette terrible pente glacée, où le moindre
faux pas m’entraînerait à une glissade fatale ; à une ou deux
reprises déjà, la neige a commencé à .glisser ; grâce à la direction
en écharpe que nous avons prise, nous nous trouvons
maintenant au-dessus d’une paroi à pic qui domine le
glacier de cinq ou six cents mètres.
(178.) Chemin parcouru par \Ve ;ly et le Dr Jacot, Cuillarmod sur l’arète N. E. du Chogori
le 10 juillet 1902.
A une heure moins un quart, nous faisons donc demi-
tour. Les premiers pas sont les plus dangereux, car la neige
menace toujours de filer sous nous ; mais nous prenons les
précautions nécessaires et arrivons sans encombre au haut
de notre grand couloir, d’où une superbe glissade de près
de six cents mètres me dépose d’un trait et en quinze minutes
devant la porte de ma tente r; la montée avait exigé
sept heures !
Pfannl et Crowley attendent avec anxiété notre retour,
mais pour des motifs bien différents : Pfannl, qui était peu
dispos ce matin et regrette de n’avoir pu se joindre à nous,
tient à avoir des détails circonstanciés sur notre journée,
tandis que Crowley est en train de prendre un accès de
malaria et me réclame à grands cris. Je satisfais la curiosité
de l’un et l’impatience de l’autre; puis, m’étant réconforté,
je vais prendre sous la tente un repos bien mérité. Wes-
sely, qui n’est pas grand amateur de glissades, arrive une
demi-heure plus tard, regrettant les trois cents mètres
qui manqueront toujours à son bonheur, mais maugréant
maintenant contre le sort, au lieu de s’en prendre à lui-
même !
Si notre ascension n’a pas eu le résultat que nous en attendions,
elle nous a toutefois permis de faire quelques
constatations importantes. D’abord, nous sommes parvenus
à 22,000 pieds — 6,700 mètres — c’est-à-dire à une hauteur
que seuls les ascensionnistes de l’Aconcagua ont dépassée.
Conway serait bien monté plus haut que nous au Pic des
Pionniers; mais, si nous en croyons les Baltis qui l’accompagnaient
il y a dix ans et dont quelques-uns font partie de
notre caravane, le sommet secondaire du Trône d’Or, où il
serait parvenu, ne dépasserait pas de beaucoup notre hauteur.
Nous eûmes môme au retour la curiosité de vérifier
l’altitude du pic que les Baltis nous indiquaient comme étant
celui qui aurait été atteint ; si la carte de Conway est exacte
et si le Pic des Pionniers est bien celui qui nous est indiqué,
il n’aurait pas, d’après les angles que nous avons pris avec
tout le soin voulu, les 7,000 mètres qu’on veut bien lui attribuer.
Mais il ne m’appartient pas de m’ériger en juge et de
trancher cette question, d’ailleurs toute d’amour-propre et,
à mon avis, bien puérile :l lorsqu’on en est à discuter à quelques
centaines de pieds près des records d’altitude, il y a
tout à parier que chacun a raison ; il suffit d’invoquer une
baisse ou une hausse barométrique locale pour changer de
plusieurs centaines de mètres le calcul d’une altitude basée
sur l’observation d’un anéroïde ou d’un Fortin*-si excellents