soient-ils1). Seule, l’altitude d’un sommet mesurée trigonométriquement
et selon les règles de la géodésie moderne, peut
avoir une valeur absolue et incontestable ; toute autre évaluation
reste sujette à discussion.
Une autre constatation plus importante est celle que
nous avons pu faire sur notre état physiologique. Au plus
haut point où nous sommes parvenus, bien qu’épuisés par
sept heures d’efforts soutenus, nous n’avons pas éprouvé de
malaise spécial ; si la première partie de l’ascension fut vraiment
pénible, cela tient bien moins à la diminution de pression
atmosphérique qu’au froid et à cette stagnation de l’air,
dont j’admets les effets d’une façon absolue, quoiqu’ils aient
été niés par plusieurs.
Nous ne pouvons que confirmer la constatation, déjà
signalée par Gonway pour THimalaya, et que la plupart des
ascensionnistes ont faite : dans toute ascension sérieuse et
qui demande une somme d’efforts considérable, on doit,
autant que possible, choisir une vallée dirigée du nord au
sud, pour avoir le plus d’ombre possible, ou une arête
exposée à tous les vents, de préférence à des ravins et à des
pentes de neige. Mais, ces précautions prises, nous pouvons
affirmer que, dans des conditions favorables, les effets de
l’altitude ne se font pas sentir à 7,000 mètres d’une façon
assez intense pour être un obstacle à l’ascension.
Notre expérience à ce sujet est d’autant plus probante
que, depuis un mois que nous vivops sur le glacier, notre
régime, loin d’être réconfortant, nous permettait tout juste
de ne pas mourir de faim; nous n’y avons tenu bon que
grâce à la solidité de nos constitutions. Nous avions pourtant
les meilleures conserves connues, et en quantité telle que
q La carte du glacier de Baltoro (au;-l : 200,000) qui accompagne ce
livre indique 7/100 mètres à l ’extrémité de la ligne pointillée, au-dessus
du Camp XI ; cette ligne s ’arrête exactement là, à la courbe de niveau
6,700, mais le chiffre doit être reporté 1 centimètre plus à l ’O.
La hauteur du camp XII est approximative.
nous n’étions astreints à aucune économie. Seuls le sucre
et l’alcool nous étaient parcimonieusement mesurés; peut-
être qu’une plus grande quantité de ces deux hydrocarbures
— auxquels les Baltis n’ont pourtant jamais goûté, sans s’en
porter plus mal — nous eût procuré un certain bien-
être, habitués que nous sommes à en user dans la vie ordinaire
; mais cette privation est bien minime, en comparaison
de celle de la viande et des légumes frais.
Le froid, en revanche, joue un rôle plus important que la
raréfaction de l’air ; ou plutôt, la réunion de ces deux facteurs
est à redouter grandement. Le plus souvent, dans nos ascensions
des Alpes en été, nous ne tenons pas compte du froid ;
nous quittons des cabanes bien fermées et bien chauffées,
et la température moyenne des belles nuits d’été, à la suite
d’une série de beaux jours, ne dépasse guère — 4° ou — 5«.
Ici, au contraire, après une nuit claire, et pour peu que le
vent du nord ait le dessus, les — 15° ne sont pas rares ; et,
tant que le soleil n’est pas venu réchauffer l’atmosphère, on
est exposé à tous les inconvénients qui résultent de l’engourdissement.
On tourne alors dans un cercle vicieux : on
n’a d’autre moyen pour se réchauffer que de faire le plus de
mouvements possibles ; mais, à une telle altitude, le moindre
de ces mouvements exige une dépense de force considérable;
on est arrêté par l’essoufflement, qui arrive rapidement;
le froid reprend alors ses droits, et n’agit que plus sûrement
sur un organisme qui se défend mal.
Les pieds, naturellement, sont les premiers à pâtir d’un
tel état de choses, et malgré toutes les précautions imaginables,
nous ne pûmes éviter la perte de sensibilité qui,
durant les premières heures de marche, nous fit cruellement
souffrir. 1| * #
A la suite de cette tentative, nous décidons de laisser la
neige se tasser un peu et se durcir; car il ne saurait être
question de faire marcher des coolies chargés, sur ces pentes